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Livre 4 : La monnaie

Chapitre 4 - Échanges internationaux et monnaie


Monnaie-symbole

La monnaie désigne l'unité de référence dans laquelle s'expriment les prix des marchandises. Comme le drapeau ou le siège à l'ONU, elle figure parmi les symboles de la souveraineté nationale… Ce caractère symbolique a jailli d'une longue lutte des monarques du Moyen Age contre le droit de battre monnaie que s'arrogeaient les seigneurs locaux. Pas d'Etat digne de ce nom qui n'ait désormais sa monnaie une et unique: l'unicité au sein de chaque Etat est aujourd'hui admise sans discussion par tout un chacun ; en fluidifiant les courants d'échanges à l'intérieur du territoire, elle contribue puissamment, il est vrai, à renforcer  la cohésion de la communauté et, donc, l'autorité des gouvernants ; elle renforce les solidarités internes et  homogénéise les modes de vie.

 Au fil du temps, l'intérêt des gouvernants pour la monnaie s'est renforcé avec le secours des théoriciens qui ont fait de la politique monétaire l'instrument privilégié de l'action gouvernementale et placé au premier rang de leurs préoccupations le souci d'une monnaie forte.

Dernier avatar de ce principe : le traité de 1992 sur le projet de monnaie unique de l'Union européenne. Une façon comme une autre de faire avancer l'intégration européenne, spectaculaire en diable,… plus aisée en apparence qu'une opposition concertée aux agissements des nationaux-communistes serbes. Mais les faits ne sont pas tendres avec les théoriciens qui, par l'asservissement des monnaies, espèrent obliger les gouvernements nationaux à coordonner leurs politiques et mettre le commerce intra-européen à l'abri des fluctuations de change[1].

À proprement parler, selon la définition originelle inspirée par le modèle du Comptoir Central, la monnaie est le reflet de l'activité d'échange. Elle n'est rien que cela. Que les hommes aient une furieuse envie de combler leurs besoins par la voie des échanges et la masse monétaire s'accroît de même que s'accroît le volume des marchandises. Qu'ils se détournent des échanges, par morosité ou par inefficience, et rien n'empêche la récession. Aucune manipulation des taux d'intérêt ou du déficit budgétaire de l'État n'y peut rien ; la monnaie est sourde aux manigances bureaucratiques. Selon ce principe, c'est naturellement que les monnaies nationales se rapprochent et s'unifient lorsque s'homogénéisent les sociétés et s'intensifient les échanges. Une zone mark s'est ainsi constituée autour de l'Allemagne fédérale sans qu'il fut besoin d'une intervention supranationale : les devises monétaires de la zone subsistent comme autant de symboles nationaux mais leur taux de change relatifs sont quasiment figés par rapport à la monnaie commune qu'est le mark.  Il s'ensuit en pratique que la devise européenne, l'Ecu, pourrait d'ores et déjà se substituer aux monnaies de la zone mark ; il ne s'agirait que de changer les noms de celles-ci. Autrement plus risquée serait la disparition des monnaies plus fragiles de l'Union européenne, de la drachme au franc français.

Associer de force des économies très différentes sous une seule unité monétaire revient à faire supporter par les plus faibles les priorités des plus fortes. Le résultat est un renforcement des écarts de développement, sans aucun espoir d'atténuation. L'unification de l'Italie illustre à loisir ce phénomène. Les royaumes du Sud, en retard en matière d'industrialisation, sont devenus franchement et durablement sous-développés lorsqu'ils ont été placés sous la même autorité monétaire que les États cisalpins, Lombardie et Piémont. La réunification de l'Allemagne, en 1989-1991, témoigne du même mouvement. La partie orientale, richement dotée en ressources humaines, semblait bien partie après que le Mur fut tombé. Elle s'est littéralement effondrée à partir du moment où le chancelier allemand lui a imposé le mark occidental avec un taux de change irréaliste de 1 pour 1. Cette mesure s'imposait sans doute pour des raisons politiques mais, par sa soudaineté, elle a anéanti les rapports fragiles qui existaient entre les prix intérieurs, les pensions et les salaires, ruinant les commerçants sans enrichir les particuliers. Elle a privé les entrepreneurs du faible niveau des salaires nominaux qui compensait partiellement les retards en matière de productivité et de management. Le prix de cette aventure, ce fut un retard de plusieurs années dans la modernisation des nouveaux Länder et un besoin énorme de financement de la part de l'Etat fédéral.

Lorsque le corset monétaire s'avère trop rigide, lorsqu'il ne laisse aucune liberté d'action aux représentants des populations défavorisées, alors, si le pouvoir central est affaibli ou insuffisamment autoritaire, l'explosion est inéluctable. Dernière illustration de l'illusion monétaire - la plus douloureuse -, la Fédération yougoslave n'a pas résisté plus de deux ans à l'avènement d'un Hitlérion à Belgrade. Ce pays disposait pourtant d'une monnaie unique et incontestée, moins en tout cas que ne devrait l'être la monnaie européenne promise par le traité de Maastricht. Il disposait aussi d'une administration plus tâtillonne que la Commission de Bruxelles… Mais tout cela n'a pas résisté aux tiraillements entre des républiques que séparaient leurs évolutions économiques et politiques. Ce drame devrait nous rappeler que c'est par la conscience politique que se forgent les États ; la monnaie et les bureaux viennent après ![2]

La monnaie et les échanges internationaux

Les monnaies "nationales" s'ajustent en toute indépendance les unes par rapport aux autres. Elles sont insensibles sur le long terme aux velléités d'intervention des gouvernants.

À chaque pays sa monnaie. Tous les achats intérieurs se définissent normalement par référence à une unité de compte commune qui est la monnaie nationale et il n'est théoriquement pas concevable de représenter un cycle d'échanges qui déborderait sur plusieurs zones monétaires. Il n'empêche que les échanges économiques n'ont pas de frontières et se moquent plus souvent que de coutume des zones monétaires et des États. Il s'ensuit des taux de change qui dépendent des quantités de devises que leurs possesseurs désirent convertir et qui reflètent les différences dans les modes de vie et dans les structures de production.

Aux taux de change usuels, la comparaison des prix d'un pays à l'autre manifeste parfois de grandes disparités[3]. Rien de plus normal. Imaginons un pays, l'Eldorado, coupé du monde depuis des siècles. Imaginons un marchand de vins de Porto qui décide d'aller y faire du commerce. Il échange sur place son chargement de vin contre la monnaie locale. Hélas, il ne trouve rien à acheter sur place qu'il puisse revendre chez lui. Sur le chemin du retour, il croise un marchand de l'Eldorado qui rentre du Portugal avec les escudos qu'il a reçus de la vente de quelques oiseaux tropicaux. L'un et l'autre n'ayant rien à faire de leurs gains respectifs, ils se les échangent. La parité à laquelle ils sont astreints reflète la naissance d'un courant d'échanges entre les deux pays. Apporte-t-elle quelque information sur la richesse de ces pays? — En aucune façon. Elle est uniquement fondée sur la valeur que les gens de l'Eldorado prêtent au vin de Porto et sur celle que les Portugais prêtent aux oiseaux tropicaux.

Concrètement, soit un industriel français qui achète dans son pays des fournitures (matières premières, composants, etc). Il les transforme en moteurs et vend en Allemagne le produit de son travail ; il encaisse le prix en marks de ses marchandises et utilise ses devises pour acheter sur place, en Allemagne, des machines-outils destinées à son usage ou à la revente en France. Cette conversion immédiate des ventes en achats sur place est tout-à-fait transparente du point de vue de l'économie de la France : tout se passe comme si l'industriel avait transformé en interne, dans le cadre de son entreprise, ses fournitures en machines-outils.

À l'image de cet industriel, si tous ceux qui exportent trouvent à l'étranger de quoi dépenser leurs recettes, de sorte que la transaction leur procure au moins autant de satisfactions que dans leur propre pays, il n'y a pas lieu de parler de change monétaire. Ce fut très précisément le cas de l'ex-Union Soviétique. Les dirigeants de ce pays, pour épargner à leurs sujets les affres de la compétition internationale et du libre-échange, ont imposé à tous leurs partenaires commerciaux un système de compensation très astreignant : pas d'importation qui ne soit liée à une exportation équivalente en roubles.

Mais, hormis des cas particuliers comme celui des Soviétiques, les individus et les entrepreneurs qui exportent et disposent de devises étrangères ne veulent pas s'obliger à dépenser leurs recettes sur place. Ils désirent plutôt financer des achats dans leur propre pays, qu'il s'agisse de dépenses individuelles ou de facteurs de production utiles à leur entreprise (biens intermédiaires, salaires).

Exemple : soit un Français qui gagne 1000 marks/jour grâce à la vente de moteurs en Allemagne. Soit, parallèlement, un Allemand qui gagne 1000 francs/jour grâce à la vente de machines-outils en France. Le Français ne trouve rien à acheter en Allemagne pour ses besoins ; de même l'Allemand en France. L'un et l'autre demandent à leur banquiers de convertir leurs gains dans la monnaie de leur pays respectif. Les banquiers font la conversion simplement : périodiquement, ils mettent en correspondance les sommes qu'ils ont reçues des uns et des autres, dans l'une et l'autre devise, et confrontent les demandes de conversion de marks en francs et de francs en marks. Ainsi se définit, de façon quasi-arithmétique, le taux de change. Dans le cas présent, il est de 1 mark pour 1 franc. La procédure est extensible à un ensemble d'exportateurs français et allemands et à un pool d'organismes financiers internationaux. Elle conduit à l'établissement d'un taux de change mark/franc révisable aussi souvent que les banquiers confrontent les demandes de conversion. Plus grand est le nombre d'intervenants, plus lisse est l'évolution du taux de change. À retenir : le taux de conversion d'une monnaie x par rapport à une monnaie y, dans une période donnée, est égal au rapport entre les quantités de devises x et y qui font l'objet d'une demande de conversion .

Du point de vue des échanges internes à la France, le doublet "exportateur français + importateur allemand" est assimilable à un agent ordinaire qui achète sur le marché national des fournitures diverses et les transforme en… machines-outils qu'il vend sur le même marché. Les opérations d'export-import sont aussi transparentes que dans le cas précédent où l'exportateur dépense tous ses gains à l'étranger. Peu importe que les fournitures soient étiquetées "fabriqué en France" et les machines-outils "made in Germany".

En cas de mévente de ses marchandises en Allemagne, l'exportateur français dépose sur son compte un montant moindre, soit 500 marks au lieu de 1000. L'Allemand ayant déposé 1000 francs dans la même période, la devise française se trouve dépréciée lorsque l'organisme de change en vient à convertir les devises. Qu'est-ce à dire ? — Le détenteur de francs reçoit seulement 50 pfennigs ou 1/2 mark pour 1 franc ; le détenteur de marks reçoit 2 francs pour 1 mark.  L'Allemand, qui s'en sort avec un total de 500 marks seulement, est pénalisé. Il gagne moins d'argent à l'exportation que ne lui aurait rapporté une vente dans son pays. Pour compenser sa perte de revenu, il tend à augmenter le prix de vente de ses marchandises en France… ou renonce à y vendre. Le Français, par contre, avec un revenu moindre en marks, reçoit la même quantité de francs, soit 1000 francs. Il maintient son pouvoir d'achat et creuse à son profit l'écart de compétitivité qui le sépare de ses concurrents étrangers. Il est en situation de vendre davantage en Allemagne. Au bout du compte, une analyse purement formelle montre que la conversion des devises, quand elle fonctionne librement, produit une rétroaction négative qui tend à rééquilibrer les échanges internationaux… Elle pénalise l'exportateur le plus dynamique et encourage le plus timoré.

Lorsque de nombreuses devises sont en présence, l'ajustement de leur taux de conversion devient infiniment complexe et dépasse la capacité d'entendement de l'esprit humain. Les hommes pallient à leur insuffisance en confiant le change au jeu boursier de l'offre et de la demande. En l'absence de tout mécanisme de régulation, cela aboutit à un système de changes flottants[4]. Selon le même principe que sur un marché limité à deux devises, le marché des changes arrive à l'équilibre par la mise en relation de toutes les devises faisant l'objet d'une demande de conversion.

Dans les faits, il y a un décalage d'une période entre les demandes de conversion et l'évaluation qui est faite de la valeur des devises les unes par rapport aux autres. Dans la période t, les organismes financiers se fondent sur les échanges de la période antérieure pour évaluer à 1/1 le taux de conversion des francs en marks. Si, dans la même période t, les échanges se déséquilibrent de sorte que l'industriel français ne gagne plus que 500 marks, contre 1000 francs à l'allemand, les organismes financiers n'en effectuent pas moins la conversion sur la base de 1/1. Sans le savoir, ils s'endettent en donnant à l'entrepreneur allemand plus de marks qu'ils ne devraient. C'est seulement en entrant  dans la période t+1 qu'ils constatent leur erreur et sont en mesure de réajuster les taux. De la sorte, l'industriel allemand n'est pas pénalisé rétroactivement pour avoir beaucoup vendu en France.

Les imperfections inhérentes au fonctionnement des changes flottants engendrent inévitablement une activité spéculatrice. Dans la période t de l'exemple précédent, les spéculateurs, qui perçoivent, mieux que les banquiers, le déséquilibre des échanges, ont le bon goût de changer des francs en marks car ils savent que celui-ci devra être réévalué dans la période suivante. Ce faisant, ils aggravent l'endettement des organismes financiers et accentuent les déséquilibres. Leurs manigances poussent à l'action les organismes financiers et les Etats qui les contrôlent. Elles les obligent à regarder en face le déséquilibre des échanges et à ne pas céder à la tentation de différer les changements de taux qui s'imposent… C'est que les gouvernements sont par nature réticents à admettre une modification des taux de change, car l'opinion est sensible à la valeur de la devise nationale et à ce qu'elle signifie pour la prospérité du pays. La dévaluation, parce qu'elle entraîne un enchérissement des importations et, aussi, parce qu'elle est perçue comme le signe d'une perte de compétitivité des entreprises nationales, a très mauvaise presse dans l'opinion. La réévaluation de la monnaie constitue, elle, un motif de fierté et de satisfaction pour le citoyen ordinaire mais elle est, à juste titre, crainte par les exportateurs dont elle pénalise les marchandises. D'autre part, il est vrai, tout le monde a besoin de références assez stables et il n'est pas pratique d'avoir affaire à des devises dont les parités changent d'un jour sur l'autre… Autant de (mauvaises) raisons pour dénoncer la liberté de change.

De l'étalon-or au contrôle des changes

A priori , la détermination des taux de conversion des devises peut être confiée au marché dans un système de changes flottants tout-à-fait libre. Elle n'a pas besoin d'un contrôle par des banques centrales, ni d'une intervention des Etats. Mais pour les raisons politiques précitées, un tel système est insupportable aux gouvernements modernes. C'est pourquoi le mode de relation entre les devises fluctue entre deux pôles qui, tous deux, se conforment au principe universel décrit plus haut : 1) une stabilité absolue analogue à celle qui a prévalu en Occident au XIXe siècle sous le règne de l'étalon-or ; 2) un contrôle des changes analogue à celui qui s'est instauré après la renonciation officielle par Richard Nixon à la parité dollar-or, le 15 août 1971.

1) L'étalon-or :

Partons d'une parité de un franc pour un mark et d'un prix déterminé de l'or tant en franc qu'en mark, soit : 1 gramme d'or = 1 franc = 1 mark. Pourquoi l'or ? — Parce qu'il s'agit d'une marchandise inaltérable, infalsifiable et suffisamment rare pour que son cours officiel ne soit pas affecté par des mises sur le marché intempestives. Parce qu'il est, aussi, aisé à transporter. Son transport d'un pays à l'autre n'affecte pratiquement pas son prix officiel.

Les organismes de change disposent des gains qu'ont déposés chez eux les exportateurs de chaque pays. Supposons que le Français ait fait de mauvaises affaires en Allemagne et n'ait gagné que 500 marks, son homologue ayant, lui, gagné 1000 francs. L'organisme de change qui détient les francs n'a pas envie de s'en défaire pour une moindre somme en marks. Il préfère acheter à la banque centrale de France pour 500 francs d'or sur la base du cours officiel. Il cède cet or à la banque centrale d'Allemagne pour la même somme en marks. Il lui reste en caisse 500 francs et autant de marks. Les francs sont convertis en marks au taux de change initial. In fine , l'entrepreneur allemand obtient les 1000 marks qu'il attend de ses exportations grâce à l'addition des 500 marks convertis par son homologue français et des 500 marks qui ont été émis par la banque centrale en contrepartie d'une importation d'or. Les 1000 marks sont dépensés en Allemagne où ils ont pour conséquence d'accroître la circulation monétaire.

La création de liquidités en Allemagne a le double effet :

- de pousser les prix intérieurs à la hausse, les détenteurs des 500 marks en surnombre se montrant disposés à payer plus cher leurs consommations habituelles,

- d'accroître la demande domestique.

Il s'ensuit que les marchandises françaises apparaissent en Allemagne relativement plus avantageuses car leur prix en francs ne sont pas affectés par ce double effet ; d'autre part, elles bénéficient de l'accroissement de la demande allemande. Tandis que la banque centrale d'Allemagne crée 500 marks et les met sur le marché, la banque centrale de France retire, elle, 500 francs de la circulation. Ce manque de liquidités a le double effet, contraire du précédent, de pousser les prix intérieurs français à la baisse et de réduire la demande domestique. Les marchandises allemandes apparaissent en France relativement plus chères et se confrontent, qui plus est, à une demande moindre. D'où une tendance au rétablissement de l'équilibre des échanges au profit des exportations françaises.

Le système de l'étalon-or s'applique sans trop de mal à un panier de nombreuses devises. Il offre l'avantage politique considérable de conserver les parités de valeur  entre les monnaies. Mais il exige une stricte discipline des banques centrales. Il ne s'agit pas que l'une d'elles, faute d'avoir encore de l'or en réserve, en emprunte à l'étranger au risque de ne pouvoir le rembourser. Dans cette éventualité, il ne lui reste plus qu'à entériner une baisse de la valeur relative de sa monnaie.

L'étalon-or ne supporte pas les défauts de paiement. Ce fut la raison de son effondrement lorsque Lénine, après sa prise de pouvoir, refusa d'honorer les dettes de la Russie, lorsque l'Allemagne, vaincue en 1918, se plaça également en situation de non-paiement, lorsque, enfin, les Alliés se virent dans l'impossibilité de rembourser leurs dettes de guerre. Depuis lors, la conjoncture ne s'est pas améliorée avec la multiplication d'Etats ou de pseudo-Etats tenus par des cliques mafieuses sans plus d'égards pour le droit international que pour le droit des individus.

2) Le contrôle des changes :

Faute d'étalon-or, les banques centrales constituent des réserves de devises étrangères ou effectuent des emprunts à l'étranger pour soutenir autant que faire se peut la valeur de leur monnaie. Dans l'exemple pré-cité d'un Français qui vend pour 500 marks de marchandises et d'un Allemand qui en vend pour 1000 francs, ce dernier livre ses gains à la Banque d'Allemagne et reçoit en échange 1000 marks. Dans le même temps, la banque donne 500 francs à la Banque de France contre les 500 marks recueillis par l'exportateur français. 500 francs sont ainsi retirés de la circulation, cependant que sont créés autant de marks. La circulation monétaire et les échanges s'intensifient en Allemagne et se restreignent en France sans que changent les parités des monnaies. Dans la période suivante, si la balance penche en faveur du franc, la banque centrale d'Allemagne peut disperser ses réserves de francs pour soutenir le cours de sa propre monnaie.

L'intervention des banques centrales permet ainsi de maintenir les parités des devises et de maîtriser les fluctuations des taux. Le résultat est le même qu'avec l'étalon-or si ce n'est qu'ici, il est suspendu au bon vouloir de la banque créditrice - la banque centrale d'Allemagne - et à sa confiance dans la valeur d'échange des devises qu'elle accepte pour réserves - le franc -. La confiance s'effrite si la balance des paiements du pays débiteur se dégrade continûment. Jugeant inévitable, à terme, un changement de parité, la banque créditrice refuse alors d'acheter de nouvelles devises à l'ancienne parité.

Dans les faits, les banques centrales et les gouvernements sont tentés d'aller beaucoup plus loin dans le contrôle des changes, ce qui n'est pas sans conséquence sur les équilibres du marché. Dans l'exemple qui nous occupe, imaginons, chose au demeurant peu vraisemblable (!), que la France désire soutenir coûte que coûte le cours de sa monnaie par rapport au mark. Le gouvernement tâche de limiter tout simplement les demandes de conversion de francs en marks. il lance des emprunts en francs à des taux d'intérêt supérieurs aux taux usuels, de façon à séduire les détenteurs de capitaux. Mais, parallèlement, il n'est pas question que la Banque de France prête à plus bas prix : les débiteurs pourraient placer leurs emprunts auprès du gouvernement et en tirer profit ! Pour ne pas lâcher d'une main ce qu'il prend de l'autre, l'Etat impose à la Banque de France d'aligner ses taux d'escompte sur les nouveaux taux d'intérêt du marché. Un résultat regrettable est que l'argent se détourne, en France, de l'investissement productif et de la consommation.

La Banque d'Allemagne, de son côté, si elle craint que la création de marks ne relance l'inflation dans son pays, est tentée de laisser monter la valeur de sa monnaie. Mais si elle veut tout à la fois : 1) se dispenser d'émettre des marks, pour rassurer les détenteurs de revenus fixes, 2) contenir la valeur de sa monnaie, pour le bonheur de ses exportateurs, elle est tentée, comme son homologue française, de limiter les demandes de conversion de francs en marks. Il lui faut pour cela rendre la possession de francs plus avantageuse… Elle élève donc son taux d'escompte afin de décourager les investissements en marks. Toutes ces manœuvres sont à l'origine d'interactions imprévisibles sur l'activité et les monnaies. Le risque le plus évident est que les gouvernements et les banques centrales perdent le contrôle de leurs actions et se laissent entraîner dans un enchaînement absurde de mesures et de contre-mesures.

L'exemple le plus mémorable et le plus lourd de conséquences a été donné le 28 avril 1925 par Winston Churchill, chancelier de l'Échiquier, lorsqu'il imposa le retour de la livre à l'étalon-or d'avant-guerre. La Banque d'Angleterre épuisa ses réserves pour soutenir le cours de la livre, jusqu'au jour de juillet 1927 où le gouverneur, Montagu Norman, obtint de ses homologues américains qu'ils abaissent leur taux de réescompte afin de rétablir un courant de capitaux vers l'Angleterre et permettre à cette dernière de reconstituer ses réserves. Les conséquences pèsent encore sur l'Histoire : flambée des prêts à Wall Street, relance de la spéculation, Jeudi noir, crise, chômage…


[1] Les fonctionnaires européens surévaluent outre-mesure l'impact d'un changement de parité monétaire sur les relations commerciales. Un tel changement ne se traduit pas par de brutales modifications de prix sur les produits importés ou exportés car les prix de marché sont pour l'essentiel liés à la demande et non à l'offre, comme je m'appliquerai à le montrer dans le livre suivant… En pratique, une dévaluation a surtout pour effet immédiat de permettre aux exportateurs d'engranger davantage de bénéfices et aux importateurs un peu moins. Elle induit une gêne pour certaines entreprises, mais guère plus pénalisante qu'une réglementation intempestive, un changement de fiscalité ou un accident climatique.

[2] Si vraiment les progrès de l'intégration économique de l'Europe exigent une unité de compte commune, comme il semble que ce soit le cas, rien n'empêche les dirigeants d'octroyer une pleine autonomie à l'Ecu, d'en faire même - pourquoi pas ? - un nouvel étalon-or auquel se réfèreraient les monnaies nationales tout en gardant une relative flexibilité. Les agents économiques seraient comblés… et, à terme, dans l'hypothèse d'une complète intégration économique du continent, les monnaies nationales n'apparaîtraient plus que comme de pittoresques survivances à l'égal des piécettes de Jersey ou de Man.

[3] Les experts internationaux comparent usuellement la richesse des pays (PNB et PNB/habitant) d'après la valeur de leur monnaie en dollars. Mais cette base de calcul se révèle pleine d'équivoques comme le montre l'annexe IV du rapport publié par le FMI en mai 1993 sur les Perspectives de l'économie mondiale : la prise en compte du pouvoir d'achat réel des populations modifie notablement le classement et, par exemple, avec des salaires nominaux, en dollars, équivalents à ceux des Américains ou des Européens, les travailleurs japonais ont un pouvoir d'achat bien inférieur.

[4] D'après Milton Friedman, « un système de change fluctuant élimine complètement le problème de la balance des paiements - exactement de la même manière que sur un marché libre il ne peut y avoir de pénurie ou d'excédent dans la mesure où les vendeurs agressifs sont dans l'incapacité de trouver des acheteurs, et inversement » ("Les taux de change flexibles", in Inflation et systèmes monétaires, traduction française, Calmann-Lévy, Paris, 1976, page 342). Le professeur ajoute : « Un système de taux de change fluctuant a, sur le fond, beaucoup plus de traits communs avec un véritable étalon-or que n'en a jamais eu notre système monétaire actuel, dans la mesure où il laisse à la fois les particuliers libres d'acheter et de vendre des devises comme ils l'entendent et où il les délivre de l'emprise gouvernementale » (page 347).

Publié ou mis à jour le : 2018-02-17 19:57:34