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Démocratie et État de droit

Gilets jaunes 2019 : l'anti-1789 !


La France bouillonne depuis la sortie des « Gilets jaunes », le 17 novembre 2018. D'aucuns s'étonnent aujourd'hui de l'amateurisme politique de ces rebelles très ordinaires, pères et mères de famille, retraités, chômeurs... qui ont quitté leur pavillon pour occuper un rond-point ou manifester au coeur des villes.

Mais quoi de plus compréhensible ? Ils ne font pas profession de refaire le monde ; ils veulent seulement le remettre à l'endroit. Ils ne sont pas porteurs d'un projet mais seulement indignés par une classe dirigeante qui a de toute évidence failli : désindustrialisation accélérée et chômage de masse, délabrement des services publics, enlaidissement des villes et des campagnes, pression fiscale etc.

Par sa spontanéité et son caractère populaire, la révolte des « Gilets jaunes » rappelle la Révolution tunisienne de janvier 2011 mais aussi les Indignés espagnols, en mai 2011, et dans une moindre mesure le Mouvement 5 Étoiles italien... Téméraires, certains médias et intellectuels osent aussi le rapprochement avec 1789. Le gouvernement lui-même songe à ce parallèle en répondant à la révolte par un « Grand Débat National » (grand d'évidence et avec trois majuscules, s'il vous plaît, comme s'il était déjà acquis que ce débat s'inscrirait dans l'Histoire), qui s'apparente aux états généraux et aux cahiers de doléances. Certains maires ont d'ailleurs repris l'expression pour leur compte !

L'antithèse de la Révolution française et de ses cahiers de doléances

À dire vrai, cette « révolution » inédite s'oppose en tous points à la Révolution française. Celle-ci fut conduite par les élites de la Nation, avocats, marchands, curés, nobles... Elles parlaient latin mieux que nous ne baragouinons l'anglais, elles connaissaient leurs classiques sur le bout des doigts, pratiquaient l'art de la conversation et surtout partageaient avec passion les idées de leur temps.

Élues aux états généraux, elles n'eurent rien d'autre à faire que d'achever les réformes sur lesquelles avaient buté le roi Louis XVI et ses ministres (Turgot, Malesherbes...) du fait de structures archaïques et d'opposants butés : égalité devant l'impôt, justice équitable pour tous, liberté de conscience etc..  Une fois ces obstacles mis à bas par le mouvement révolutionnaire, les députés n'eurent pas grand mal à mener leur travail, dans un large consensus : abolition des privilèges, des corporatismes et des particularismes régionaux, réformes administratives et judiciaires... Il est probable même que le roi aurait volontiers accompagné le mouvement s'il avait eu un caractère plus trempé et surtout n'avait pas été rebuté par des mesures anticléricales et antireligieuses malvenues.

Rien de tel aujourd'hui. Les « élites » du pays, autrement dit les classes dominantes, communient dans le culte de la « mondialisation heureuse », de l'« ouverture aux Autres », de la « concurrence libre et non faussée » et du « premier de cordée » (celui qui gagne son premier million à trente ans, pas celui qui risque sa vie comme pompier ou gendarme). Leur horizon est le dépassement de la nation par l'Europe, la cohabitation des cultures, la promotion inconditionnelle des droits individuels etc.

Toutes ces valeurs sont portées par la population aisée et diplômée des métropoles et des petites villes et c'est contre elles que se rebellent les « Gilets jaunes »... Ils ont confusément le sentiment d'être écartés de ce Nouveau Monde radieux. Pire que cela, ils se sentent méprisés par la classe dominante et le président Macron, par ses maladresses de langage et son inexpérience, leur a maintes fois craché à la figure ce mépris de classe. C'est une rupture radicale par rapport à l'histoire des deux derniers siècles et même de l'Ancien Régime.

Les patrons des siècles passés vivaient, confortablement certes, au milieu de leurs ouvriers. Ils se retrouvaient sur les bancs de l'église même s'ils ne se mélangeaient pas. Ils partageaient une solidarité de destin. À la Belle Époque, si grandes que fussent les inégalités, toutes les classes sociales cohabitaient dans les immeubles haussmaniens de Paris et des grandes villes. Même quand ils étaient issus de la bourgeoisie, les dirigeants républicains, jusqu'à la fin du XXe siècle, de Clemenceau à Mitterrand en passant par de Gaulle et Pompidou, avaient les pieds bien ancrés dans la glèbe. Ils partageaient avec les gens les plus ordinaires l'amour des paysages de France comme  de sa langue et de sa culture.

Rien de tel aujourd'hui. Le mépris des élites pour les sédentaires attachés à leurs traditions, leur milieu et leurs racines transpire dans les pages des journaux parisiens et dans les débats télévisés avec des qualificatifs comme « fermés », « étriqués », « réactionnaires »... Dans le Nouveau Monde de la mondialisation heureuse, c'est en pressurant des demi-esclaves chinois ou bengalis et en aliénant leurs compatriotes à coup de pub que les nouveaux riches s'assurent une place dans l'Eden des multimillionnaires, qui tisse la planète de résidences, cliniques et écoles privées, loin, très loin du vulgum pecus.

Le droit violé par les magistrats qui ont mission de l'appliquer

Contre le vote démocratique qui pourrait leur faire obstacle, les élites s'appuient sur les Cours de justice supranationales et la magistrature... comme sous l'Ancien Régime, quand les magistrats  des Parlements se faisaient les ardents défenseurs des privilégiés !

L'État de droit s'oppose par définition à l'arbitraire. Il repose sur le respect de la loi, autrement dit de la coutume sanctifiée par l'usage. C'est ce que les Anglais, inventeurs de l'État de droit moderne, appellent common law. C'est normalement aux députés du peuple souverain que revient la mission de modifier la loi. Les magistrats ont l'obligation de l'appliquer, pas de l'accommoder au goût du jour au risque de la dénaturer et de la désacraliser.

Violant délibérément la souveraineté du peuple et le principe de séparation des pouvoirs judiciaire, législatif et exécutif, les magistrats actuels ont pris l'ascendant sur la classe politique et font feu de tout bois pour contrecarrer les réglements et lois qui pourraient faire obstacle à l'horizon indépassable de la classe dominante.

On l'a vu par exemple quand le Conseil Constitutionnel a, de façon stupéfiante, pris prétexte du mot Fraternité inscrit dans la devise de la République pour légitimiter l'aide apportée par un quidam à des immigrants illégaux.

C'est ainsi qu'à force de changer les lois et d'abattre des coutumes et des pratiques plurigénérationnelles, voire centenaires, les magistrats ont détruit l'État de droit qu'ils sont censés défendre.

Publié ou mis à jour le : 2019-02-04 10:18:47