Le blog de Joseph Savès
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Demain !

Une utopie séduisante et illusoire


DemainVoici un film qui détonne dans la morosité ambiante. Il part du constat que notre mode de vie conduit à une crise écologique et climatique d'exceptionnelle ampleur.

Sans s'appesantir sur le diagnostic, il ébauche de souriantes alternatives avec de belles images de jardins maraîchers et des rondes d'enfants de tous pays et de toutes couleurs.

Contre la consommation abusive d'énergies fossiles, il en appelle aux bonnes volontés individuelles et ébauche des alternatives souriantes avec de belles images de jardins maraîchers et des rondes d'enfants.

C'est une illusion trompeuse. On ne guérit pas d'une pareille addiction sans une action collective volontaire, qui passe en particulier par une révolution politique et fiscale...

Le ton volontariste et optimiste de ce film a séduit le public français au-delà de tout ce que pouvaient espérer les réalisateurs, Cyril Dion et l'actrice Mélanie Laurent. Salles combles et applaudissements en fin de séance, sans compter le César du meilleur documentaire au festival de Cannes 2015.

Nous ne pouvons que nous réjouir de cette attente d'un meilleur avenir. Mais derrière le propos et les images qui rappellent l'univers United Colors of Benetton et l'enthousiasme hippie des années 1970, nous discernons aussi un phénomène plus profond, significatif de nos sociétés : le triomphe de l'individu sur le collectif.

De façon paradoxale, ce basculement touche aussi bien la gauche militante que la droite, aussi bien les « bobos » décontractés des secteurs de la communication que les traders en complet-cravate des banques et sièges sociaux. Les premiers ne jurent que par l'engagement individuel. Leurs héros sont les lanceurs d'alerte et les personnes en rupture de ban insérées dans de petites communautés informelles, écolos et sympas, où il fait bon vivre ensemble. Les seconds privilégient l'initiative individuelle, avec un minimum de règles et un État minimaliste dans un contexte de concurrence libre et non faussée.

Le rêve d'une société économe en énergies fossiles...

- agriculture et alimentation :

Demain nous montre qu'on pourrait nourrir correctement l'humanité en cultivant avec soin nos légumes et nos fruits, sans insecticides ni tracteurs. Dans la ferme du Bec Hellouin, en Normandie, des fermiers bio associés aux agronomes de l'INRA arrivent ainsi à  produire l'équivalent de 14 tonnes de nourriture par an et par hectare sur une surface binée à la main où poussent en bonne intelligence des plantes complémentaires comme du basilic sous des pieds de tomate, le premier protégeant les seconds contre les pucerons, les seconds protégeant le premier du soleil.

Cette agriculture raisonnée pourrait donc concurrencer la monoculture intensive dite « moderne », inventée dans les grandes plaines d'Amérique du nord. Ses rendements de 100 à 150 quintaux de céréales à l'hectare (10 à 15 tonnes) sont à mettre en balance avec ses coûts directs (produits phyto-sanitaires et investissements matériels) et ses coûts induits (pollution des eaux, destruction de la biodiversité, appauvrissement des sols). Sans parler des incidences sur la santé humaine (obésité). Demain rappelle aussi qu'une part de plus en plus importante de la monoculture intensive sert à produire des « biocarburants » subventionnés par la puissance publique.

- énergies fossiles, énergies renouvelables :

De façon moins convaincante, le film vante les succès danois dans les éoliennes en oubliant que celles-ci ont une production intermittente qui impose de les associer à des centrales au charbon ou au gaz, sans bénéfice pour l'environnement... et que le Danemark est au 4e rang des pays qui ont la plus mauvaise empreinte écologique (note). Si les aides publiques permettent aux fabricants et exploitants d'éoliennes de réaliser des profits juteux, c'est au détriment de l'intérêt général et de l'écologie, nous rappelle Jean-Louis Butré, président de la Fédération Environnement Durable (FED). 

Demain évoque aussi les centrales photovoltaïques sans rien dire de leur bilan carboné : les cellules en silicium, qui ont une durée de vie d'une quinzaine d'années, nécessitent pour leur fabrication de très grandes quantités d'énergie fossile. Il n'est pas certain que celle-ci soit compensée par leur production d'énergie solaire.

- urbanisme et transports :

En quête de propositions en matière d'urbanisme et de transports, l'équipe de tournage du film Demain a beaucoup fréquenté les aéroports et traversé les océans. Elle a ainsi découvert en Extrême-Orient et sur le Golfe des projets révolutionnaires de gratte-ciel végétalisés. Pourquoi pas ? Reste que ces immeubles de grande hauteur demeurent énergivores et coûteux (climatisation, sécurité incendie, batteries d'ascenseurs...). Ils s'insèrent aussi dans des espaces immenses où l'emploi de l'automobile est recommandé.

L'avenir est donc ouvert. Demain nous invite à nous engager vers un monde plus respectueux des équilibres écologiques. Mais il lui manque une dimension capitale : il ne dit rien de la façon de rompre avec notre choix actuel, fondé sur une consommation intensive d'énergies fossiles.

... se heurte à un prix du pétrole deux fois plus bas qu'en 1970

Si nos consommations de charbon, de pétrole, de pesticides et autres engrais chimiques paraissent vouées à une croissance irrésistible sur les prochaines décennies, cela tient non pas à une quelconque fatalité mais à un choix collectif en faveur d'une énergie (trop) bon marché

Avec des énergies fossiles qui voient leur prix sans cesse tirés vers le bas, il est vain d'espérer que les États et les particuliers économisent l'énergie ou se rallient massivement et pour de bon à des énergies propres.

Engagement individuel contre choix collectif

Le documentaire Demain fait l'impasse sur ce choix collectif, ses origines et les moyens d'y remédier.

Les alternatives radieuses suggérées par Mélanie Laurent et ses compères cinéastes n'ont rien d'utopique. Elles sont simplement inatteignables sans l'action politique qui pourra y conduire et notamment sans une relance de la fiscalité sur l'énergie.

Les atermoiements des gouvernants sur tous les sujets sociaux, économiques et environnementaux (droit du travail, aéroport nantais, pesticides...) montrent assez que rien ne se fera sans un aggiornamento de la politique nationale et la mise au pas des superstructures européennes et de leurs mandants financiers.

Joseph Savès

Publié ou mis à jour le : 2019-09-20 10:59:42