Le blog de Joseph Savès
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Le prix

Livre 5 : Le Prix

Chapitre 4 - Ajustement des prix à la demande


Les invendus existent mais ne se voient pas

La crise des années 30, mise en théorie par Keynes, témoigne des insuffisances de la loi des débouchés émise par Jean-Baptiste Say. Suffit-il cependant, comme Keynes, de se raccrocher à une explication macro-économique des déséquilibres ? Suffit-il de se dire que les ratés de la croissance économique - et le chômage - dérivent d'une inadéquation des taux d'intérêt et de la propension à consommer ? — C'est la doctrine néo-classique de la formation des prix qui mérite d'être réexaminée.

La célèbre courbe de la demande, qui représente les ventes d'une marchandise standardisée en fonction de son prix unitaire, tendrait à montrer qu'il existe toujours un prix auquel cette marchandise trouve preneur ; ce prix serait d'autant plus bas que la quantité que l'on veut placer sur le marché est importante. En effet, chacun est supposé acheter les marchandises qui lui sont utiles dans la mesure où leur prix est inférieur à ce qui lui en coûterait de ne pas les acheter ou d'acheter l'équivalent ailleurs. Sur la base de ce simple constat, la théorie néo-classique établit que le prix d'une marchandise ou d'un travail se fonde sur l'utilité marginale des quantités disponibles. Plus les quantités mises sur le marché sont élevées, plus leur utilité marginale est faible. Mais qu'est-ce qui détermine ces quantités ? — Ce serait, selon un raisonnement symétrique, le désir de chaque fournisseur d'arriver à un revenu au moins égal à celui qu'il aurait en pratiquant une autre activité.

Dans ces conditions, par l'ajustement à la marge de l'offre et de la demande, des mises sur le marché et des revenus, il ne devrait pas exister d'invendus. Bien avant les théoriciens du marginalisme, Jean-Baptiste Say avait élaboré sa loi des débouchés à partir de cette intuition. Plus près de nous, Jean Fourastié essaie de dissiper par une tautologie l'insondable mystère qui se renouvelle chaque jour, vaille que vaille : « Il est évident que l'homme ne peut pas consommer ce qui n'a pas été produit ; inversement, il ne peut durablement produire des biens qui ne sont pas consommés »[1]. Comme lui, les économistes libéraux tiennent pour négligeables ou anormales les incertitudes qui pèsent sur les producteurs, les échecs et les renoncements dont ils paient le relatif équilibre entre l'offre et la demande.

Or, les invendus existent… mais ils ne se remarquent guère sur le marché car ils se résorbent le plus souvent aux frais des producteurs, ce qui donne une apparence de vérité aux propos de Jean Fourastié. Ils sont inévitables par le fait que les individus sont demandeurs d'utilités bien définies, indépendamment de toute considération de prix. Dans les opportunités qui leur sont proposées par le marché, ils ne s'intéressent qu'aux utilités dont ils sont demandeurs. Ils ignorent celles dont ils ne ressentent pas le besoin et celles qui viennent en excédent par rapport à leur niveau d'ambition. Donc, si des marchandises ne possèdent pas les utilités requises, elles n'ont aucune chance de trouver preneur et d'être consommées, seraient-elles mêmes gratuites. Les marchandises sont subordonnées à une condition préalable, c'est qu'elles amènent un supplément de satisfaction à l'acheteur : ou une opportunité intéresse autrui et est mise sur le marché, ou elle n'intéresse personne et n'est pas mise sur le marché.

La réalité la plus ordinaire, c'est une société d'une étourdissante mobilité où se modifient tous les jours les comportements des consommateurs. Communément, les industriels manufacturiers fixent leurs cadences de production d'après la demande prévisible à quelques jours, quelques semaines ou quelques mois selon le bien considéré. S'il se produit un ralentissement ou une accélération de la demande, le mouvement se répercute d'abord sur les stocks du circuit de distribution, ce qui leur laisse en général le temps de réagir. Dans les activités de services, l'ajustement de la production à la demande est parfois tout-à-fait instantané. Un coiffeur ne peut traiter plus de clients qu'il ne s'en présente dans son salon… Il n'y a guère que le secteur agricole qui, du fait des interventions de l'État, échappe à cet ajustement automatique de la production sur les ventes effectives.

De l'inaptitude des humains à prévoir et anticiper les besoins dérivent des inadéquations fréquentes entre l'offre et la demande, dont les invendus, les stocks, les destructions de marchandises et les gaspillages de ressources sont la conséquence. Chaque fois qu'une personne entreprend un travail et n'en obtient pas la satisfaction escomptée, elle s'afflige de ne pas combler sa grille des besoins comme elle l'aurait souhaitée ; mais son erreur n'affecte pas, heureusement, les rouages de l'économie. Si le présent ouvrage ne trouve pas de lecteur, je regretterai de lui avoir consacré beaucoup de temps pour rien, malgré le plaisir que j'aurais eu à l'écrire ; mais mon insuccès n'empêchera en rien la Terre de tourner, il n'influera en aucune façon sur le réseau des échanges économiques, sinon en creux par le fait que j'aurais pu employer mon temps à produire des marchandises plus profitables à mes contemporains et mieux à même de combler leurs besoins.

Une entreprise est soumise aux mêmes risques de mévente qu'un individu. Les fjords de Norvège ont abrité pendant les années 70 des superpétroliers à l'agonie, en surnombre par rapport à des besoins soudainement réduits par la crise pétrolière. Le désert du Nevada abrite dans ces années 90 des avions de ligne également surnuméraires par rapport à un marché dont les acteurs n'avaient pas prévu qu'il subirait les affres de la récession. De cette façon spectaculaire, donc, ou de façon plus fréquemment cachée, les producteurs ajustent leur activité à une demande imprévisible. Ils y arrivent ou n'y arrivent pas selon qu'ils possèdent ou non les réserves en liquidités qui leur permettent de surmonter l'épreuve et d'attendre des jours meilleurs. Dans tous les cas, l'adéquation de l'offre à la demande se rétablit volens nolens à un moment ou un autre, parfois non sans douleur, les producteurs dussent-ils pour cela stocker ou détruire certains excédents comme cela se voit pour les pétroliers ou les avions de ligne. Les opportunités retirées du marché n'apparaissent pas comme des marchandises mais simplement comme des sources de surcoût et d'endettement pour les producteurs concernés… Le chantier naval intègre dans ses frais fixes le coût de fabrication et de rebutage de ses méventes ; il en reporte l'amortissement sur le coût de ses navires effectivement vendus. L'observateur extérieur et l'économiste ne voient que le pétrolier effectivement vendu, pas celui qui est envoyé à la casse, aux frais de l'entrepreneur.

Selon la théorie néo-classique, quand les producteurs sont en mesure de produire une grande quantité de marchandises, ils peuvent toujours les vendre et éviter qu'elles leur restent sur les bras en baissant suffisamment leur prix. Les prix, c'est entendu, doivent toujours se tenir au niveau le plus bas autorisé par les possibilités technologiques du moment ; ils doivent s'aligner sur les coûts de revient et ne laisser que la marge de profit tout juste nécessaire à la survie des producteurs !

Si, dans les faits, les choses ne se passent pas ainsi, si les invendus existent malgré tout, c'est, comme je m'attacherai à le montrer dans ce livre-ci, que le prix le plus bas ne fait pas nécessairement le bonheur des usagers ; c'est que, d'autre part, comme je le montrerai dans le livre suivant, les producteurs d'une marchandise ont davantage à gagner en ne livrant sur le marché qu'une quantité limitée, alignée sur le prix optimal, et en retirant l'excédent. 

Ajustement d'un prix par le fournisseur

Il existe pour chaque fraction d'une marchandise A un prix particulier : c'est la valeur v(A) faite de tous les prix virtuels des utilités que désire le sujet pour atteindre son niveau d'ambition. À mesure qu'il consomme une plus grande quantité de A et se rapproche de son niveau d'ambition, il comble ses besoins et requiert moins d'utilités. La valeur qu'il prête à chaque fraction complémentaire de A diminue en conséquence. Le prix que le sujet est disposé à payer pour chaque fraction est inférieur ou au plus égal à la valeur v(A) qu'il lui prête. Il n'accepte un prix supérieur que dans l'hypothèse où il ne dispose pas sur le moment d'une alternative convenable.

Le fournisseur, lui, ne désire travailler ni plus ni moins que le nécessaire pour le niveau global de satisfaction qu'il se croit capable d'atteindre. Le minimum est déterminé par les utilités concomitantes à usage personnel que lui apportent son travail. Abstraction faite de tout revenu, il est porté à travailler pour activer son esprit et son corps, pour se faire valoir auprès d'autrui, pour cultiver son âme,… Si le fruit pécuniaire de son travail, dans cette limite, lui permet d'acquérir les utilités différées nécessaires pour compléter le comblement de ses besoins jusqu'à son niveau d'ambition, il n'a pas motif à travailler plus. Autrement, comme la plupart d'entre nous, il est amené à travailler davantage, quitte à endurer des sur-satisfactions du côté de ses utilités concomitantes.

Afin de s'épargner des efforts inutiles, le fournisseur a donc le souci légitime de tirer de son travail le plus gros revenu possible. Cela l'amène à rechercher pour chaque fraction de sa marchandise le client disposé à la payer au plus haut prix. Dans les faits, il est difficile, voire impossible, de vendre chaque fraction d'une même marchandise à un prix optimisé. Avec chaque client et dans le cadre de chaque transaction, le fournisseur est tenu à un prix unique, dans des limites bien déterminées.

Toutes choses égales par ailleurs, la valeur que prête l'acheteur à une marchandise tend à décroître d'une fraction l'autre. Dans le cadre d'une transaction où toutes les fractions sont affectées du même prix, ce prix est au maximum égal à la valeur de l'ultime fraction que consent à acquérir le consommateur (l'acheteur aurait autrement intérêt à acheter ailleurs cette fraction marginale) ; par ailleurs, il est au minimum égal à la valeur la plus faible estimée par l'acheteur (si le fournisseurs demandait pour cette fraction - et les autres - moins que l'acheteur n'est disposé à payer, il minimiserait sans raison son revenu). En définitive, le prix unique, dans le cadre d'une transaction, est égal à la valeur de la fraction marginale. Dans ces conditions, la valeur de toutes les fractions de marchandises qui font l'objet de la transaction se révèle supérieure ou égale au prix qu'en tire le vendeur. La différence entre la valeur totale et le prix est assimilable à ce qu'Alfred Marshall appelle la rente du consommateur . Cette rente est disponible pour d'autres achats… ou va gonfler l'épargne oisive.

Zone de chalandise et marché

Chaque échange met en scène un fournisseur et un acheteur que rapprochent un intérêt de circonstance, sans contrainte ni prédétermination.

Soucieux d'optimiser son revenu, le fournisseur ne se cantonne pas délibérément dans un tête-à-tête avec un et seul client. Il observe autour de lui quelles sont les personnes disposées à acquérir sa marchandise; il considère la valeur que les unes et les autres prêtent à chaque fraction de sa marchandise, au vu des alternatives qu'elles-mêmes ont sous les yeux. À chacune de ces personnes, pour chaque fraction de sa production, il propose un prix qui ne soit pas inférieur au prix que pourrait accepter telle autre personne. C'est en cherchant, pour chaque fraction de sa production, l'acheteur disposé à payer le meilleur prix qu'il arrive idéalement à maximiser le revenu monétaire issu de son activité. De la sorte, dans un mouvement constant depuis qu'existent les échanges économiques, les producteurs de marchandises prospectent de nouveaux marchés et tendent à élargir leur clientèle.

Dans l'autre sens, les personnes désireuses de jouir de telles et telles utilités ont sous les yeux une offre plus ou moins diversifiée. Elles échangent des informations entre elles et avec différents fournisseurs potentiels ; elles comparent les conditions de vente. Ces considérations m'amènent à distinguer pour chaque type de marchandise le marché et la zone de chalandise:

  1) Marché:

J'appelle marché l'ensemble des fournisseurs auxquels un individu convient de s'adresser pour le comblement de tel ou tel besoin. Il y a un marché pour chaque acheteur et pour chaque utilité. Pour mon approvisionnement en produits frais, je confronte les commerces de mon quartier tandis que, pour me motoriser, je consulte les succursales régionales des constructeurs automobiles implantés en France. C'est d'après ma connaissance de chaque marché que j'évalue le prix virtuel des utilités correspondantes,… sous réserve que celles-ci participent au comblement de mes besoins.

Les marchandises dont les utilités dominantes ne répondent pas aux attentes de l'individu ne constituent pas pour lui un marché. C'est un fait, l'employée de bureau ne regarde que pour en rire les malles Vuitton de l'avenue Montaigne, à Paris (riches d'utilités dont elle n'a pas l'usage)… et la bourgeoise ne conçoit pas d'acheter un sac à main dans un Uniprix (en contradiction avec son besoin de paraître).

  2) Zone de chalandise : 

Stricto sensu , chaque individu constitue une zone de chalandise avec ses attentes particulières et son pouvoir de négociation. Cette conception se justifie pour ce qui concerne les marchandises produites à l'unité ou en petite quantité ; elle est excessivement rigoriste pour les productions de grande série, qu'il s'agisse de biens industriels ou de services. C'est pourquoi je suis amené à compléter la représentation usuelle du marché en appelant zone de chalandise  l'ensemble des individus qui s'approvisionnent auprès d'un même fournisseur, en une marchandise déterminée, à des conditions identiques ou similaires (prix, service, qualité, etc).

Les zones de chalandise sont infiniment diverses. Un constructeur automobile ne traite pas avec ses clients français comme il traite avec ses clients américains: les contraintes réglementaires, les habitudes de consommation, les aspirations cachées et les niveaux de prix ne sont pas les mêmes. Devant une même robe de couturier, deux bourgeoises de l'avenue Montaigne n'ont jamais tout-à-fait les mêmes sensations et les mêmes désirs, de sorte que diffère peu ou prou le prix dont chacune est disposée à payer la robe.

Des zones de chalandise étendues, caractérisées par des conditions de vente et de prix homogènes, se révèlent indispensables à la grande industrie car il n'est pas pensable d'introduire de l'intelligence dans la production, pour en améliorer la productivité, et d'en perdre le bénéfice en maintenant une distribution archaïque fondée sur le marchandage de gré à gré. Depuis le XIIIe siècle et les foires de Champagne, nos marchands, soucieux d'accroître leurs ventes, ont ainsi à cœur d'élargir les zones de chalandise.

Zones de chalandise et prix multiples

Selon leur pays et leur catégorie sociale, les individus discernent plus ou moins d'utilités dans une même marchandise et lui prêtent une valeur différente. L'intérêt du producteur est de segmenter sa clientèle potentielle en autant de zones de chalandises qu'il y a de types d'acheteurs, avec un prix pour chaque zone.

Dans les sociétés denses et structurées que nous connaissons, les gens de condition semblable manifestent des besoins similaires (sans être identiques); ils attendent les mêmes utilités des marchandises mises à leur disposition. Par ailleurs, ces gens bénéficient des mêmes informations sur les disponibilités en marchandises et sur les prix; ils en tirent les mêmes conclusions sur le prix virtuel des utilités; à peu de chose près, ils prêtent la même valeur aux marchandises mises à leur disposition.

Tout cela favorise le prix affiché au détriment du marchandage ancestral: quand deux voisins ont le désir de la même marchandise, il n'est guère envisageable au fournisseur de proposer un prix différent à l'un et à l'autre. Ainsi, à cylindrée identique, les voitures se vendent à peu près au même prix dans chaque pays, quelle qu'en soit la marque. Les quelques voitures coréennes qu'importe la France se vendent pratiquement aux mêmes conditions que leurs homologues européennes, malgré des coûts de production inférieurs. En quittant un pays pour un autre, on ne retrouve pas en principe les mêmes habitudes de consommation et les individus ne voient pas les mêmes utilités dans un même produit ; il s'ensuit des différences de prix parfois notables, que ne justifient pas d'hypothétiques différences dans les conditions de production et de distribution. Le même modèle de voiture est par exemple proposé à un prix différent selon que l'acheteur est danois, français ou américain.

À l'intérieur d'une aire géographique cohabitent aussi plusieurs classes sociales avec des goûts et des informations spécifiques. D'une classe à l'autre, ce ne sont pas les mêmes utilités qui sont attendues de telle ou telle marchandise ; ce  n'est pas la même valeur qui est prêtée à ladite marchandise. Autrement dit, ce n'est pas le même prix que les individus sont disposés à payer d'une classe à l'autre.

D'où l'intérêt pour les producteurs d'ajuster leurs prix de vente en fonction de ces zones de chalandise, pays ou classe sociale. Dans les produits frais et l'épicerie, par exemple, il y a, en région parisienne comme dans toutes les grandes villes, au moins deux clientèles dont l'une se fournit pour l'essentiel dans les grandes surfaces de distribution et l'autre dans les épiceries fines. Celles-ci affichent des prix très supérieurs à ceux des grandes surfaces, ce qui ne les empêche pas de prospérer. Sur les mêmes produits, les prix varient du simple au double, voire au triple, à quelques centaines de mètres de distance. Il suffit pour s'en rendre compte de franchir la frontière invisible qui sépare le quartier bourgeois de Paris, celui des Invalides, du reste de la capitale. Pourtant, peu de bourgeoises, me semble-t-il, renonceraient à leur épicerie fine au profit d'un quelconque hypermarché ; c'est que les emplettes dans leur magasin favori leur apportent des utilités spécifiques auxquelles elles sont attachées : accueil attentionné, considération de leur rang social, etc. Il est normal que ces utilités se paient, et qu'elles se paient cher comme tout ce qui relève du luxe. À côté des grandes surfaces et des épiceries fines, les petits épiciers de quartier surnagent également malgré leurs marges élevées car ils apportent des utilités que n'ont pas leurs concurrents : proximité de la clientèle et  horaires flexibles.

Pour le supercarburant, dans les grandes villes françaises, les automobilistes identifient deux catégories de distributeurs : les hypermarchés et les pompistes indépendants. Le produit qui sort des pompes est grosso modo  le même mais son prix varie de 5% à 15% d'un endroit à l'autre. Ces variations n'empêchent pas les différentes catégories de distributeurs de cohabiter sans gros problème. Même dans le voisinage immédiat d'un hypermarché à prix bas, des pompistes-garagistes indépendants survivent avec des tarifs beaucoup plus élevés. C'est le signe que la clientèle elle-même n'est pas homogène. Comme pour l'épicerie, elle est guidée dans ses choix par des motifs variés et parfois antinomiques : recherche du moindre prix, désir d'être proprement servi, conviction que le produit le plus cher est de meilleure qualité, snobisme,…

Autre exemple de zones de chalandise dissociées : sur le marché des micro-ordinateurs, IBM, leader mondial de l'informatique, s'est introduit en 1981 avec un modèle qui a rapidement conquis les usagers potentiels. Dans la foulée sont arrivés des fabricants inconnus d'Extrême-Orient avec des produits quasiment identiques et aussi performants, baptisés clones , à des prix de deux à quatre fois inférieurs. Le leader a chancelé mais n'a pas été éliminé du marché, du moins pas dans l'instant. Très vite ont émergé des clivages dans la clientèle : d'un côté les amateurs qui se sont rués sur les clones asiatiques pour des raisons économiques évidentes. La plupart n'auraient de toute façon jamais acheté un micro-ordinateur IBM. Trop cher par rapport à leurs besoins. De l'autre côté, les usagers professionnels qui sont restés fidèles au leader pour des raisons variées : image de marque de l'entreprise utilisatrice, qualité des relations avec le fournisseur, conviction - ici aussi - que le produit le plus cher est de meilleure qualité, prix IBM en rapport avec le besoin et le niveau d'amortissement attendu. Parmi d'autres exemples de prix différenciés figure le phénomène des soldes dans la confection. D'un côté les clients et clientes qui paient cher le prestige d'un modèle nouveau, de l'autre, les clients et clientes qui ne veulent pas payer autre chose que la satisfaction de posséder un vêtement seyant. La vente exclusive de produits d'hygiène et de cosmétiques dans les pharmacies (en France) révèle une catégorie de clientèle prête à payer des prix plus élevés  que les prix courants, en contrepartie d'un sentiment de sécurité. Toujours en France, les cigarettes blondes américaines sont deux fois plus chères que leurs homologues nationales, tout en étant distribuées par le même réseau, sans que la différence de prix soit justifiée par un écart comparable en qualité. C'est le désir de se démarquer socialement qui explique en bonne partie le choix des fumeurs d'américaines.

Les prix reflètent un marché en quête permanente d'équilibre

Les prix et les ventes des différentes marchandises varient continument selon que les individus privilégient le comblement de tel ou tel besoin et selon que le marché répond ou non à leurs attentes.

Le marché n'est pas plus figé que le monde vivant avec lequel il fait corps. L'intensité des échanges, les niveaux d'ambition des uns et des autres et les capacités de production changent en permanence. Changent aussi les prix usuels, soit qu'ils tendent à augmenter en valeur nominale, soit qu'ils tendent à diminuer. Lorsque, d'une période à la suivante, le prix moyen de l'ensemble des marchandises est en augmentation, on parle d'inflation; lorsqu'il est en diminution, on parle de déflation.

À première vue, il est concevable de mesurer l'évolution du prix d'une marchandise simple, baril de pétrole ou tonne de blé. Les choses se compliquent lorsqu'il s'agit d'un produit manufacturé ou d'un service dont le contenu évolue régulièrement ; année après année, les fabricants de micro-ordinateurs renouvellent leurs gammes et améliorent leurs performances de sorte qu'il devient difficile de comparer le prix de deux modèles successifs à performances égales. Enfin, la demande se déplace continument d'un produit vers un autre de sorte qu'il s'avère formellement impossible de comparer d'une année sur l'autre les sommes que doivent dépenser les individus pour une satisfaction identique ; à supposer que la baguette de pain enchérisse de x%, comment mesurer son incidence sur l'évolution générale des prix si, dans le même temps, sa consommation diminue de y% ? Disposerait-il des meilleurs mathématiciens de la planète, aucun institut de statistiques ne sera jamais capable de définir avec rigueur le taux d'inflation ou de déflation. C'est dire que ces mots ne correspondent à aucune réalité conceptuelle. Cela ne les empêche pas d'être très fréquemment employés de nos jours car le peuple, ses représentants et les économistes patentés projettent sur eux leur angoisse du changement. Je pense que l'inflation exprime mieux que toute autre chose l'incertitude du devenir et c'est pour cela qu'elle est diabolisée, même lorsqu'elle s'accompagne d'une augmentation parallèle des revenus.

L'inflation est générée par plusieurs phénomènes qui ne sont pas tous nocifs pour la santé économique de la société, loin s'en faut. Je distingue plusieurs types d'inflation selon l'évolution des besoins induits par l'enrichissement d'une fraction de la population, selon l'évolution des coûts ou selon des manipulation monétaires malvenues,… et un seul type de déflation :

1) Inflation induite par l'enrichissement d'une fraction de la population :

Tout accroissement de revenu stimule les échanges sous réserve que les bénéficiaires manifestent une forte propension à le dépenser . Désireux d'accéder à un niveau global de satisfaction plus élevé, ils se portent preneur d'utilités qu'ils dédaignaient auparavant ; ils découvrent aussi des utilités inédites et se montrent disposés à dépenser pour elles leur revenu résiduel. Leur surcroît de dépenses vivifie de proche en proche les circuits d'échanges, selon le processus qui a été décrit dans le Livre 4 (La monnaie ). Il s'ensuit une hausse générale ou quasi-générale des revenus du travail et des salaires qui profite à la plupart des secteurs d'activité.

Dans une telle phase d'expansion, les producteurs accroissent irrépressiblement leur chiffre d'affaires ; soit qu'à prix constant, leurs marchandises sont plus abondamment demandées ; soit qu'à clientèle constante, ils alignent leur prix sur la valeur accrue que la clientèle prête à leurs marchandises. Cette inflation rampante, de l'ordre de 2 à 3% par an si l'on s'en tient aux souvenirs de l'après-guerre, est le reflet de l'enrichissement général en période de prospérité et de l'augmentation de valeur prêtée aux marchandises.

D'après la théorie des besoins, ce sont les prix des marchandises liées à des besoins émergents qui doivent augmenter plus vite que les autres, car les personnes dotées d'un supplément de revenu, en situation désormais de combler ces besoins, prêtent attention aux utilités correspondantes. Elles accordent davantage de valeur aux marchandises qui les recèlent. Ainsi, les années 80 ont vu, en France, une augmentation très rapide des prix relatifs aux loisirs (places de spectacles, consommations de café, chambres d'hôtel, articles de sport, etc) tandis que stagnaient les prix des équipements électro-ménagers, dont la grande majorité des ménages sont déjà pourvus[2]. Les voitures particulières ont vu leur prix augmenter de 30 à 50% à francs constants en une vingtaine d'années, à modèles comparables (la R4 et la Twingo, par exemple). Cette augmentation peut surprendre si l'on considère les immenses efforts de productivité qu'ont accompli les constructeurs au prix d'ailleurs de licenciements massifs. L'amélioration des performances (sécurité, vitesse, consommation, confort) ne suffit pas à la justifier. Il faut, pour lui donner un sens, considérer que l'automobile reste au centre des aspirations individuelles. À mesure que la société s'organise autour d'elle, elle se charge de plus en plus d'utilités. Outil de convivialité, de rapprochement, de promotion sociale, elle voit sa valeur augmenter régulièrement. La différence entre son prix toujours croissant et son coût de fabrication en voie de diminution se répartit entre des intervenants plus nombreux, plus voraces: distribution, promotion, publicité, services après-vente, administration.

L'ajustement des prix à la demande est d'autant plus rapide que les circuits de distribution sont plus courts et les séries plus restreintes. Il est quasi-instantané dans le secteur des services comme dans la vente de légumes et fruits sur les étals des marchés. Il est plus hasardeux dans la production industrielle de série, en raison de rigidités essentiellement d'ordre technique et liées aux contraintes de la production industrielle en grande série: intermédiaires nombreux, délais importants entre la sortie d'usine et la mise en rayon, et avant qu'un stock ne soit écoulé. Il se produit alors des ruptures de stocks et des files d'attente : la clientèle la plus motivée fait le sacrifice de son temps comme le démontrent à Paris les files d'attente devant les boulangeries Poilâne ou les vendeurs de glaces Berthillon ; une autre partie, moins motivée, renonce à faire la queue. Ces rigidités ne disparaissent pas du jour au lendemain[3].

L'inflation, en apportant aux individus les plus entreprenants la perspective de gains plus élevés, les encourage à aller dans le sens de la demande. S'ils sont en mesure d'investir, ils augmentent leur production ; à défaut, avec une offre stagnante, ils se contentent d'augmenter leur prix pour ne satisfaire que la clientèle la plus motivée. C'est pour cela que, lorsque la pression de la demande devient trop forte, lorsqu'elle ne s'accompagne pas d'une réponse appropriée de l'offre, il se produit un phénomène de surchauffe. Les prix s'emballent. Les épargnants s'inquiètent de ne pouvoir maintenir leurs revenus ; les entrepreneurs ne trouvent pas l'argent qui leur permettrait d'investir et de satisfaire à la demande. Le pays recourt alors à des importations accrues et sa monnaie tend à se dévaloriser. En 1952, en France, les distorsions entre l'appétit de consommation de l'après-guerre et l'outil de production ont entraîné une surchauffe de ce type. La politique de rigueur d'Antoine Pinay a permis de la briser, mais au prix d'un sévère ralentissement de l'activité économique. Au cours des "trente glorieuses" (1944-1974), tous les pays souffrant d'un appareil de production trop peu flexible se sont accoutumés à de pareilles surchauffes .

2) Inflation induite par la pénurie :

Imaginons qu'augmente brutalement le coût de revient d'une marchandise et qu'il vienne à dépasser la valeur que lui prêtent les acheteurs ; il s'ensuit une pénurie : les producteurs sont obligés de relever leur prix, sauf à se mettre en déficit. Mais simultanément, les clients révisent aussi leurs choix de consommation et diminuent leurs achats. Il se produit une course de vitesse entre l'augmentation de prix et la diminution des quantités demandées. La course est d'autant plus âpre que s'estompent les économies d'échelle quand diminuent les quantités produites. Le coût de revient unitaire tend donc à s'élever et les producteurs sont incités à augmenter encore davantage leur prix pour stabiliser leurs recettes autant que faire se peut. Jusqu'où ? — Tout dépend de l'élasticité de la demande :

2a- si la marchandise pénurique possède beaucoup de substituts, elle est virtuellement condamnée à disparaître du marché, les producteurs faisant fuir leur clientèle à mesure qu'ils augmentent leur prix,

2b- si, faute de substituts, la marchandise pénurique a une demande peu élastique, ses clients attitrés révisent à la hausse le prix virtuel de ses principales utilités. S'ils jugent ce bien indispensable à leur satisfaction, ils acceptent de le payer plus cher ; le cas échéant, ils renoncent à d'autres biens pour en conserver l'usage (on est ici dans le cas d'un bien de Giffen : quand le prix du pain augmente, les pauvres réduisent leur consommation de… viande).

Il arrive que la pénurie entraîne les prix à augmenter beaucoup plus vite que les quantités demandées ne baissent, pour le plus grand profit des producteurs et des intermédiaires. Les envolées périodiques du prix du café offrent un bon exemple de ce phénomène que l'on a coutume de baptiser spéculation , faute de lui trouver une quelconque rationalité : peu de consommateurs modifient leurs habitudes lorsqu'augmente le prix de leur excitant favori, et les producteurs du Brésil et d'ailleurs tirent un maximum de profit de cet atavisme.

Lorsque, en particulier, la pénurie porte sur une marchandise commune dont la demande est très peu élastique, elle entraîne une récession généralisée en perturbant les équilibres antérieurs dans les échanges et les choix de consommation, en générant chômage, faillites et reconversions. Découverte dans les années 70, avec la crise consécutive à la guerre du Kippour et à la flambée du coût du pétrole, cette forme de récession a suscité l'invention du terme de stagflation . Si les facteurs qui ont engendré la pénurie semblent devoir durer, le marché s'en accommode et repart sur de nouvelles bases. Au lendemain du Kippour, l'Occident industrialisé a cru que perdurerait la cherté du pétrole. Il a tâché de s'adapter aux nouvelles conditions du marché en développant les économies d'énergie ou les énergies de substitution, et en reconsidérant son mode de consommation.

3) Inflation induite par des manipulations monétaires :

L'inflation allemande de 1923 est restée dans les mémoires comme l'exemple de ce qu'il faut à tout prix éviter. Mais, depuis cette date, et jusqu'aux années 90, le monde a connu des rééditions de ce phénomène. À la différence des deux inflations précitées, celle-ci est irrationnelle, due à des manipulations monétaires saugrenues, en totale contradiction avec la nature de la monnaie (voir le Livre 4).

Après la Première Guerre mondiale, les vainqueurs ont exigé de l'Allemagne des quantités énormes de devises (livres, francs, dollars, or), au titre des réparations. Comment le gouvernement allemand pouvait-il satisfaire à cette exigence ? — La solution formelle était d'augmenter les impôts et d'échanger les marks contre de l'or ou des devises, auprès des banques centrales étrangères. Mais il fallait que les banques centrales soient assurées de pouvoir vendre les marks à des concitoyens désireux d'acheter des marchandises allemandes. Cela revenait à convertir en exportations les consommations dont les Allemands étaient privés en raison de leur surimposition.

Mais entretemps, sous l'effet conjugué de la guerre et des impôts, les prix du marché intérieur allemand ont été irrésistiblement tirés à la hausse par une pénurie du type précédent. Dans ces conditions, les étrangers n'ont guère été incités à acquérir des marks auprès de leur banque centrale et à les dépenser en Allemagne. Le mark a commencé de se dévaluer. Comme les Alliés ont persisté, année après année, à réclamer des réparations en devises, la spirale inflation-dévaluation n'a fait que s'accélérer. Le principe des réparations en devises était, dès le départ, voué à l'échec.

La leçon qui reste de l'aventure, c'est qu'on ne triche pas avec les flux d'échanges. La monnaie, figuration immatérielle de ces échanges, ne se manipule pas comme une quelconque marchandise. Ceux qui s'y essaient sont comme des enfants qui attrapent le vent entre leurs doigts[4].

4) Déflation induite par une rétraction des échanges :

Lorsque survient une crise des échanges économiques mais aussi sociaux, affectifs, politiques, etc, une fraction de la population se détourne du marché. Elle se replie sur elle-même pour cause d'insécurité, de défiance, d'isolement, de désespérance,… Elle perçoit moins d'utilités dans ses consommations habituelles et leur accorde une moindre valeur ; au bout du compte, elle tarde à dépenser son revenu et réduit sa demande de marchandises. Les fournisseurs, pour retrouver les faveurs de leur clientèle, ajustent leur prix à la baisse, suivant la nouvelle valeur des marchandises. C'est la déflation .

De proche en proche, ce sont tous les revenus qui tendent à diminuer,… y compris les revenus des individus qui auraient une forte propension à consommer : bon gré mal gré, ceux-là supportent comme les autres une baisse de leur consommation ; ils participent à la régression des échanges, soit que, travailleurs indépendants, le revenu de leur travail diminue, soit que, salariés d'une entreprise mise en difficulté par la récession, ils sont jetés à la rue parce qu'il n'y a pas assez de travail pour eux. Pour cela, la déflation est irrésistiblement associée à un amenuisement de l'activité économique et à une régression de l'emploi,… à la grande différence de l'inflation ordinaire[5].

L'amenuisement de l'activité est voué à durer jusqu'à ce que la fraction de la population qui est à la racine du phénomène soit en situation de dépenser tout son revenu et non plus de le thésauriser ou de le faire fructifier dans les emprunts d'État. Il peut être interrompu si les revenus non dépensés sont redistribués d'une manière ou d'une autre aux personnes ayant la plus forte propension à la dépense (qu'il s'agisse de consommation ou d'investissement)[6].


[1] L'économiste poursuit : « Par conséquent, les deux phénomènes, indépendants à l'échelle du consommateur individuel, se déterminent en réalité l'un l'autre à l'échelon national ; et non seulement il doit y avoir une égalité globale de la valeur totale de la production et de la consommation, mais encore cette égalité doit nécessairement être obtenue pour chaque secteur, pour chaque service, pour chaque produit.
En effet, les décalages ne peuvent provenir que de la constitution des stocks. Cette constitution de stocks est impossible pour les services ; pour qu'elle s'institue durablement en ce qui concerne les biens matériels, il faudrait que l'humanité constitue des stocks considérables, ce qui n'a jamais été constaté à une échelle notable par rapport au volume de la production courante »
(Le grand espoir du XXe siècle , Gallimard, Paris, 1957, page 94).

[2] Quelques variations de prix enregistrées par l'INSEE entre 1979 et 1989 (en %) :
Spectacles (autres que le théâtre et les concerts) : +239,9
Chambres d'hôtel : +191,4
Entretien du véhicule : +192,8
Location d'articles de sport : +162,8
Boissons chaudes dans les cafés : +161,9
Machines à laver : +56,9
Chocolat en poudre : +54,9
Huile d'arachide : +21,6
Téléviseurs : +4,8
(d'après Le Nouvel Economiste N°695, 19/5/89, page 52).

[3] « L'enseignement classique, selon lequel les prix réagissent aux excès de l'offre ou de la demande, est de plus en plus jugé insuffisant pour conduire une analyse macroéconomique de courte période… L'impact immédiat des variations de la demande ou de l'offre doit être recherché dans les carnets de commandes, les files d'attente, les stocks, les délais de livraison, la production, les heures de travail, l'emploi… De tels ajustements quantitatifs sont les premiers signes de modifications intervenant dans la relation demande-offre. Les mouvements de prix relatifs apparaissent plus tard et de façon moins visible » (Malinvaud E., Réexamen de la théorie du chômage , Calmann-Lévy, Paris, 1980).

[4] Juste un mot de l'inflation à laquelle auraient donné lieu en Europe les importations de métaux précieux en provenance du Nouveau Monde, aux XVIe et XVIIe siècles. Jean Bodin et quelques autres ont noté avec justesse que s'élevèrent en particulier les prix des marchandises de luxe, que se creusèrent les écarts de revenus tandis que chuta la valeur relative des propriétés foncières.

L'or et l'argent du Nouveau Monde auraient pu, en théorie, être répartis de façon à élever dans les mêmes proportions les revenus de chacun et les prix des marchandises ; ils auraient pu servir aussi à augmenter la teneur en métal précieux des monnaies usuelles. Dans l'un et l'autre cas, il n'y aurait pas eu d'inflation à proprement parler.

Ce qui a bouleversé véritablement l'économie de ce temps, c'est que les importations de métal précieux n'ont pas été répartis équitablement. Elles se sont soldé par une redistribution des revenus au profit des trafiquants, des négociants internationaux et des puissants, ainsi qu'au détriment des propriétaires fonciers, les premiers ayant le plus de facilités à mettre la main sur les importations de métaux précieux, les seconds en étant les plus éloignés. Sous couvert d'inflation, c'est d'un bouleversement des rapports sociaux qu'il s'est agi.

[5] En 1958, le Néo-Zélandais Phillips a cru noter qu'une baisse du chômage s'accompagnait d'une accélération de l'inflation, et réciproquement mais la corrélation est moins triviale qu'il y paraît, car le chômage et la déflation apparaissent l'un et l'autre comme la conséquence d'une asthénie des échanges. Quant à identifier les causes de cette asthénie…

[6] Les tendances déflationnistes qu'a connues l'Europe depuis 1991, pendant et après l'équipée militaire du Golfe, sont apparues clairement comme la conséquence d'une perte de confiance dans l'avenir commun, un repli des individus sur eux-mêmes, le début d'un refus de consommer, le signe d'une moindre appétence, d'une volonté de sur-vie affaiblie. Le vieillissement de la population n'a pas peu contribué à accentuer le phénomène.

La demande très forte induite par l'expansion économique en Amérique et surtout en Asie pourrait remédier à la dépression de l'activité productrice. Mais les exportations ne devraient pas suffire à restaurer les circuits d'échanges mis à mal à l'intérieur de l'Europe. Elles pourraient au contraire consolider l'avènement d'une société dualiste, comme dans les pays ex-coloniaux où un secteur moderne, nourri par les échanges avec l'extérieur, côtoie sans le voir un secteur marginal et pauvre, sans ressources ni perspectives d'avenir.


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5 - Prix et valeur

Publié ou mis à jour le : 2018-02-17 21:10:27