Europe : le défi migratoire
Migrations d'aujourd'hui
À l'issue des « Trente Glorieuses » (1944-1974), L'Europe est pour la première fois depuis mille ans devenue terre d'immigration. Par son caractère inédit et son ampleur, le phénomène a transformé les sociétés occidentales.
En 2015, l'immigration a changé d'amplitude avec l'arrivée de plusieurs centaines de milliers de réfugiés à travers les Balkans, la mer Méditerranée et la mer Égée sans qu'aucune frontière semble résister. Les Grecs ont ainsi reçu plus de vingt mille clandestins en une seule semaine d'août 2015 (note) !
C'est en 1974, à l'issue des « Trente Glorieuses » (1944-1974), que L'Europe est devenue terre d'immigration, avec un solde net depuis lors positif (davantage d'entrées que de sorties). Auparavant, les entrées étaient limitées pour l'essentiel aux travailleurs algériens et turcs recrutés par les industriels français et allemands ainsi qu'aux rapatriements forcés liés à la décolonisation (Pays-Bas, France, Royaume-Uni).
Ce basculement est intervenu en même temps que s'est effondrée la fécondité des Européennes. Pendant la période antérieure, le Vieux Continent affichait une forte croissance économique mais aussi un indicateur conjoncturel de fécondité (nombre moyen d'enfants par femme) très nettement supérieur à 2 dans la plupart des pays et supérieur en France à ce qu'il est aujourd'hui en Turquie ou en Iran. C'était un signe de bonne santé sociale et de dynamisme. « N'y voyons pas un hasard !... note le philosophe Roland Hureaux. La société du baby-boom est la plus favorable qu'il y ait eu aux jeunes dans le partage de la richesse au cours du XXe siècle » (Le temps des derniers hommes, Hachette, 2000).
Mais le nombre de naissances a brusquement chuté à partir de 1974 dans presque tous les pays occidentaux, tout comme la croissance économique. L'indicateur de fécondité, qui avait atteint son maximum dix ans plus tôt, est tombé très vite au-dessous du seuil indispensable au remplacement des générations (2,1).
Aujourd'hui, dans certaines régions (Italie du nord, Allemagne orientale...), les couples ont en moyenne un enfant tout juste, ce qui implique une division par deux de la population en l'espace d'une vie. Très rares sont désormais les septuagénaires européens qui peuvent se flatter d'avoir une descendance complète (quatre petits-enfants)... Cette implosion démographique est en passe de briser la chaîne des générations par laquelle se sont transmises les connaissances et les valeurs qui ont fait la grandeur de l'Europe pendant un millénaire.
L'Europe au tournant
Depuis le basculement de 1974, les nouvelles migrations concernent l'Europe de l'Ouest mais aussi l'ensemble du monde occidental : l'Amérique du Nord et l'Australasie, sans compter l'Afrique australe et même, depuis peu, la Russie (note).
Nous sommes devant un phénomène inédit. En effet, il ne s'agit plus de migrations à l'intérieur d'une même aire de civilisation avec pour seul obstacle de rares populations nomades (Amérindiens, Aborigènes...) comme on l'a vu plus haut. Il ne s'agit pas non plus de migrations de voisinage comme on l'a vu des Espagnols chassés par le franquisme qui se réfugièrent en France, des Palestiniens qui ont fui Israël et se sont réfugiés dans les pays limitrophes ou des Syriens qui ont forcé leur frontière avec le Liban ou la Turquie.
Nous avons affaire désormais à des déplacements d'une aire de civilisation vers une autre. Ce sont des Orientaux, des Chinois et, de plus en plus, des Africains qui s'installent en Europe occidentale. Les pays d'où ils viennent souffrent d'instabilité et de l'absence d'État de droit mais ne sont pas pour autant démunis de ressources naturelles.
L'Afrique équatoriale dispose par exemple d'un fabuleux potentiel agricole et minier, autrement plus riche que celui de l'Europe, mais il est encore pour l'essentiel en jachère et reste à exploiter. Les bassins du Congo et du Nil ainsi que les plateaux kényans et éthiopiens pourraient sans difficulté nourrir tout le continent s'ils étaient exploités selon des méthodes intensives et raisonnées, à la façon de l'agriculture traditionnelle européenne ou chinoise. Mais l'incurie politique et l'explosion démographique détournent les jeunes Africains de ce travail. L'attraction de l'Europe est plus forte...
Qu'il s'agisse de l'Asie, du Moyen-Orient ou de l'Afrique, les régions de départ possèdent un héritage civilisationnel dont leurs ressortissants ne sont pas prêts à se défaire à l'instant où ils débarquent sur le Vieux Continent, pas plus que les habitants de celui-ci ne sont prêts à renoncer à leur mode de vie. Légitimes, ces réticences réciproques ralentissent les processus d'intégration et d'assimilation.
Accélération au XXIe siècle
En Europe, si les immigrants extra-européens du XXe siècle ont pu généralement s'immerger dans les sociétés d'accueil et s'y épanouir, il n'en va plus de même depuis le début du XXIe siècle, du fait d'une accélération des flux, d'une nouvelle baisse de la natalité européenne et d’un raidissement social, dans un contexte de crise économique et d’impéritie politique.
Le solde migratoire annuel en Europe de l'Ouest est aujourd'hui d'environ 4 pour mille habitants selon le Population Reference Bureau (Washington, 2017). Le solde naturel est pour sa part égal à 0 pour mille (autant de naissance que de décès) et tous les pays européens, y compris la France, sont en-dessous du seuil indispensable au simple renouvellement de la population.
Le fait nouveau depuis le début du siècle est le développement des migrations irrégulières vers l'Europe, en provenance de pays parmi les plus démunis de la planète. Ces flux ont connu un pic en 2015 avec un total de 1 256 000 entrées irrégulières selon Frontex, qui se sont ajoutées aux entrées régulières.
Concernant la France, le pays a accueilli dans les quatre dernières décennies du XXe siècle une centaine de milliers de personnes par an. « Sans cette immigration, la population française métropolitaine aurait été moins nombreuse de 11% », note la démographe Michèle Tribalat (Les Yeux grands fermés, 2010).
Depuis lors, l'accélération est sensible et la France enregistre année après année plus de 200 000 entrées régulières, très majoritairement extérieures à l'Europe. Mais plus qu'en tout autre pays occidental, les démographes officiels font assaut de casuistique pour minorer le phénomène, jusqu'à évoquer un solde migratoire quasi-nul (note).
C'est ainsi que François Héran évoque une stagnation des flux migratoires depuis le début du XXIe siècle et tient l'immigration pour un phénomène mineur dans la France contemporaine.
À l'instar de ses collègues, ce professeur au Collège de France ne voit aucune différence de nature entre les migrations de travailleurs à l'intérieur de l'Europe et les migrations de peuplement venues d'Afrique ou d'Orient, ce qui revient à nier l'Histoire et la culture, tout ce qui fait société et unit les hommes (note).
D'autre part, dans le phénomène migratoire, il ne considère que les « immigrés », autrement dit les personnes nées étrangères à l'étranger, la naissance sur le territoire national faisant ipso facto de leurs enfants un citoyen lambda analogue à tous les autres par le seul miracle du « droit du sol » (note).
L'exemple ci-dessous de la colonisation de la Virginie (Amérique du nord), montre les limites de cette analyse.
La Virginie illustre les conséquences d’une immigration exogène, même ténue. Au début du XVIIe siècle, la future colonie anglaise était alors peuplée d'environ cent mille Indiens avec une démographie stable (2500 décès par an et autant de naissances). Arrive un premier bateau avec cent couples de colons anglais et autant chacune des années suivantes. Chaque couple anglais engendre en moyenne quatre enfants.
Au bilan, les démographes observent un solde migratoire annuel d'à peine 2 pour mille, très inférieur à celui de l'Europe d'aujourd'hui. Ils observent aussi un solde naturel annuel de 4 pour mille grâce à 400 naissances supplémentaires qu'ils additionnent aux naissances indiennes en vertu du « droit du sol ».
Au bout de 30 ans, la Virginie compte encore 100 000 Indiens (oublions ceux qui sont tués par les colons ou choisissent l'exil) et déjà plus de quinze mille Anglais (environ 15% de la population totale). Ces derniers vivent à l'écart des Indiens, si l'on met à part quelques coureurs des bois mariés à des Pocahontas, et commencent à forger une nouvelle nation. C'est ce type de phénomène que des démographes comme le professeur François Héran tiennent pour mineur et peu signifiant.
Les migrations de peuplement, une réalité nouvelle en Europe
Deux aspects caractérisent les migrations d'aujourd'hui en Europe occidentale : le fait qu'elles relèvent de populations appartenant à d'autres aires culturelles et leur ampleur numérique.
• L'altérité culturelle, abordée plus haut, est généralement appréciée comme une source d'enrichissement malgré les difficultés qu'elle engendre, ne serait-ce que par les différences d'habitudes alimentaires qui compliquent les repas en commun.
• L'ampleur numérique est quant à lui occultée pour une raison tortueuse mais compréhensible : en niant contre l'évidence l'importance des migrations actuelles et les déséquilibres qu'elles engendrent, les classes dirigeantes et les leaders d'opinion se dispensent d'y faire face.
Notons que ce « négationnisme » les rapproche des climatosceptiques qui échafaudent des théories fumeuses pour nier les causes évidentes du réchauffement climatique et n'avoir pas à modifier leur mode de vie. Selon une loi commune en Histoire, les hommes choisissent généralement de fermer les yeux sur les nouvelles menaces dans l'espoir qu'elles les épargneront sans qu'ils aient à se bouger (note).
Pour le commun des mortels, il est évident que la population ouest-européenne change de visage mais aussi de mœurs. Au milieu du XXe siècle, beaucoup d'Européens ne connaissaient les Africains, Orientaux et Asiatiques qu'à travers les illustrations du dictionnaire. Il n'est que de regarder les films et les documentaires de cette époque pas si lointaine pour constater la grande homogénéité du continent et de l'Hexagone français. Nous n'en sommes plus là...
Explorant les données disponibles en France, l'africaniste Jean-Paul Gourévitch a évalué la part de la natalité issue de l'immigration du dernier demi-siècle. Il déclare au micro de Radio Notre-Dame (26 février 2019) : « Sur 758 000 naissances annuelles, on peut considérer que 24 à 32% sont d'origine étrangère (essentiellement extra-européenne) ».
Le sondeur Jérôme Fourquet corrobore ces données. Après dépouillage des prénoms donnés aux enfants à la naissance, il relève 18,8% de prénoms arabo-musulmans dans les naissances de 2016 (contre 0% en 1960). Il y voit se dessiner la France de demain (L'Archipel français, Seuil, 2019).
Les chiffres de l'INED validés par François Héran confirment l'augmentation rapide des populations originaires des autres continents :
• En 2014, les femmes nées à l'étranger constituaient 11,7% de toutes les femmes en âge d'avoir un enfant, contre 10,6% cinq ans plus tôt.
• En 2016, 18,8% des naissances en France étaient le fait de ces femmes, essentiellement africaines ou turques, contre 16% en 2009.
À moins d'un retournement de situation en matière de natalité et d'immigration, il est aisé d'en déduire que près de la moitié des naissances, en France, à l'horizon 2050, seront le fait de femmes issues de l'immigration extra-européenne des 50 dernières années. C'est un changement de paradigme auquel il importe de se préparer.
En Île-de-France, des écoles et des collèges ont déjà un public majoritairement africain. Sur les marchés de Sarcelles ou Saint-Denis, il est difficile d'identifier dans la foule des personnes de type européen. Il s'ensuit une gêne chez les Européens qui se sentent étrangers sur leur sol mais aussi chez beaucoup d'immigrés aujourd'hui pleinement assimilés. Ceux-là ont autrefois fui une société archaïque et craignent aujourd'hui d'être rattrapés par elle. Ce n'est pas un hasard si la Corse mais aussi la Guyane et Mayotte, soumises à une immigration massive, figurent parmi les départements français qui ont donné le plus de voix à la candidate du Front National (extrême-droite) aux présidentielles de mai 2017 (note).
Contre cette réalité, il est de bon ton d'avancer que les immigrés et leurs enfants ont vocation à s'intégrer. Cela a été vrai et l'est encore pour bon nombre d'entre eux. Mais ça l'est de moins en moins. Par un phénomène naturel, les nouveaux arrivants rejoignent les diasporas déjà installées dans le pays d'accueil : « La présence de parents diminue grandement l’incertitude et le coût d’installation pour les migrants, qui bénéficient de leur accueil, aide à l’orientation... » observe l'africaniste Stephen Smith (La Ruée vers l'Europe, Grasset, 2018). Il s'ensuit la formation de communautés ethniques et une intégration à l'envers.
D'ores et déjà, la « crise des migrants » et les « ratés de l'intégration » (sécurité, éducation, logement) mobilisent les gouvernants ouest-européens, obligés de gérer dans l'urgence et l'improvisation les conséquences d'un phénomène qu'ils n'ont su ni voulu prévenir. Il s'agit de loger, éduquer, soigner et prendre en charge les nouveaux arrivants qui ignorent la langue nationale et les codes sociaux de leur pays d'accueil. Il s'agit aussi d'inventer pour eux des emplois à faible valeur ajoutée, sans profit pour l'avenir, afin de les socialiser autant que faire se peut.
Pendant ce temps, en Extrême-Orient s'invente le monde de demain avec des gouvernants impliqués à fond dans les projets de développement de leurs entreprises. L'écart se creuse très vite au détriment de l'Europe, en voie d'appauvrissement. Les citoyens européens qui attendent de leurs élus qu'ils ouvrent de nouvelles voies de progrès sont priés de prendre patience. Ils devront patienter d'autant plus longtemps qu'en 2015, l'immigration irrégulière a brutalement dépassé toutes les prévisions avec plusieurs centaines de milliers d'arrivées en quelques mois. C'est l'amorce d'une rupture brutale, avec des conséquences incommensurables.
La fin des frontières
Dans les années à venir, des vagues migratoires d'une ampleur supérieure ne sont pas à exclure pour peu qu'un grand pays d'Afrique comme l'Égypte, le Congo ou le Nigeria sombre à son tour dans l'anarchie. Des soubresauts sont aussi à craindre du côté de l'Algérie (40 millions d'habitants), menacée de faillite par la chute du prix du pétrole, ou encore du Yémen (25 millions d'habitants), ravagé par l'Arabie séoudite.
L'Europe, au cours du dernier millénaire, a relevé des défis bien plus violents, de la Grande Peste à la Seconde Guerre mondiale, en premier lieu par un relèvement rapide et solide de la natalité. Aujourd'hui, on ne voit encore rien de tel et l'Union européenne, avec sa population déclinante de 500 millions d'habitants, pourrait ne pas survivre au défi migratoire, sauf à recourir à la force militaire, voire à des régimes du même nom.
À travers la Méditerranée ou la mer Égée, des rafiots armés par des négriers libyens, turcs ou autres déversent sur les côtes italiennes et les îles grecques des malheureux qui ont fui l'anarchie moyen-orientale et africaine et risqué leur vie pour accéder au paradis de l'Europe sociale et compatissante.
Certains fuient des pays en guerre comme la Syrie, la Libye ou l'Irak, conséquence du chaos provoqué par les Occidentaux ; d'autres - la grande majorité - fuient des pays paisibles et que l'on dit même en expansion économique, comme l'Éthiopie, le Ghana ou le Sénégal. Certains ont peut-être été victimes de persécutions indignes mais d'autres ont pu servir des régimes oppressifs, participer à des crimes de guerre ou commettre des crimes tout court.
De pauvres hères, avant d'obtenir le droit d'asile au titre de la « défense des libertés », se sont entretués parfois comme on l'apprit en avril 2015 d'un groupe de musulmans sahéliens qui jeta à l'eau une douzaine de compagnons de voyage dont le crime était d'être chrétiens (note) !
Notons enfin que ces immigrants ne fuient pas la mort mais la pauvreté dans leur village d'Afrique ou l'ennui dans les camps de réfugiés de Turquie, de Jordanie ou du Liban. Leur traversée de la Méditerranée ou de la mer Égée résulte d'un calcul de risque avec une probabilité de 0,3 à 1% de mourir dans l'épreuve. Les parents du petit Aylan Kurdi et de son frère, noyés en mer Égée en août 2015, avaient ainsi choisi de fuir vers l'Europe ou le Canada à leurs risques et périls plutôt que de végéter dans les camps de Turquie. Finalement, le père survivant est revenu vivre dans sa ville d'origine, Kobané, en Syrie.
Mis à part sans doute les chrétiens orientaux et les yézidis, ces immigrants ne répondent pas à la définition de l'asile politique (« A droit à l'asile politique toute personne dont la vie ou la liberté sont menacées du fait de son engagement actif en faveur de la démocratie ou de son appartenance religieuse ou raciale »). Ce sont pour la plupart des hommes jeunes et vigoureux simplement envieux du confort occidental. Ils ont pour cela laissé derrière eux des parents âgés, des jeunes frères et sœurs, parfois une femme et des enfants. En fuyant leurs obligations d'homme et de citoyen, ils se révèlent l'exact contraire des résistants et des combattants de la Seconde Guerre mondiale qui ont engagé leur vie au service de leurs proches et de leur pays.
Par une singulière inversion de nos valeurs morales, nous bayons aujourd'hui d'admiration devant tel jeune homme originaire du Sud-Soudan ou d'Érythrée qui dit être parti pour l'Europe en abandonnant sur place quatre ou cinq enfants ! Ce qui aurait été autrefois considéré comme une lâcheté est aujourd'hui assimilé à de l'héroïsme et justifie droit d'asile et assistance financière des contribuables européens.
Les références à la Shoah sont malvenues de la part de citoyens européens qui, sans risque, viennent en aide à ces immigrants extra-européens ou balkaniques dont ils ne connaissent rien et qui eux-mêmes ne risquent rien. Il est indécent de les comparer aux Juifs de l'époque nazie qui s'exposaient à une mort atroce et certaine en restant dans l'antre du diable...
Que ne les compare-t-on plutôt aux Palestiniens de tous âges et de toutes conditions qui ont fui leurs villages en 1947 ? Les bonnes âmes occidentales et les gouvernements des pays « frères » avaient à l'époque choisi de les laisser moisir dans des camps autour d'Israël, par égoïsme et dans le dessein explicite de faire pression sur l'État hébreu. Les petits-enfants de ces quelques centaines de milliers de réfugiés sont aujourd'hui cinq millions. Plus que jamais apatrides et désespérés, ils sont la preuve vivante de nos « valeurs universelles » à géométrie variable : on maintient les réfugiés de Palestine et leurs descendants dans des camps mais on ouvre les bras à tous les autres Orientaux et aux Africains avides de mieux vivre.
La tragédie des réfugiés offre heureusement quelques motifs de sourire avec des reportages en boucle sur tel ou tel village de Calabre qui a repris vie grâce à l'arrivée de réfugiés maliens, érythréens, afghans ou autres.
Ces immigrants disposent-ils d'une magie dont les autochtones seraient dépourvus ? Oui, ladite magie se ramène aux aides financières octroyées par l'Union européenne et l'État italien : plus de mille euros par mois et par migrant. Cette manne vient relancer le commerce local et les services communaux... Mais que n'y a-t-on pensé plus tôt et installé dans ces villages les familles « autochtones » qui végètent dans les banlieues misérables des métropoles ?
Reste qu'en ces lieux éloignés des bassins d'activité, les nouveaux habitants n'ont pas plus de chance que les anciens de trouver un véritable emploi et un avenir décent. Au moins ont-ils l'assurance d'être assistés à vie, une solution difficilement généralisable à l'ensemble des immigrants.
La fin des États ?
Confrontée à la violation caractérisée de ses frontières, l'Union européenne semble aussi impuissante que le fut Rome face aux Germains qui franchirent le Rhin ou le Danube au Ve siècle. Les États membres se sont en effet dépouillés de leurs moyens d'action sans avoir pris la peine de fonder un État européen pleinement solidaire. D'une part, ils s'interdisent toute action unilatérale comme de fermer les frontières nationales ; d'autre part ils rendent illusoire le renforcement des frontières extérieures et une éventuelle action militaire du fait de la règle de l'unanimité pour tout ce qui concerne la révision des traités concernés, tel le traité de Schengen.
À défaut, ils engloutissent des milliards d'euros dans des systèmes de défense ultra-sophistiqués. De la frontière tunisienne à Calais en passant par la Hongrie, on voit se dresser des « murs ». Ils s'apparentent aux anciens limes, lignes fortifiées destinées par les Romains à arrêter les Barbares. L'un d'eux a même été érigé par l'Autriche sur sa frontière avec la Slovénie. Cette confrontation entre deux États qui appartiennent l'un et l'autre à l'Union européenne, à la zone euro et à la zone Schengen témoigne mieux que tout de la faillite du projet européen.
Par lâcheté et impuissance, les Européens refusent de nommer la réalité pour ne pas avoir à l'affronter. Ils persistent à simplement qualifier de migrants ou réfugiés les nouveaux arrivants. Ils feignent de se croire encore capables de séparer le bon grain de l'ivraie, d'accueillir les « vrais » réfugiés et de renvoyer les autres chez eux (combien l'ont été depuis le début de l'année 2015 ?). Dans les faits, ils ouvrent leurs frontières à tous au nom de l'impératif humanitaire en oubliant l'avertissement du leader socialiste Michel Rocard : « Nous ne pouvons pas héberger en France toute la misère du monde. La France doit rester une terre d'asile mais pas plus » (TF1, 3 décembre 1989) (note).
Est-ce pour complaire à des patrons avides de main-d'oeuvre corvéable ? Ou plus simplement par crainte d'aborder l'obstacle ? les dirigeants européens ont renoncé depuis belle lurette à sévir contre les autocrates de la péninsule arabique qui financent les islamistes de tout poil. Ils n'osent pas davantage réclamer des comptes aux dirigeants africains qui pillent l'aide occidentale et s'interdisent toute politique de planning familial.
L'Afrique noire (un milliard d'habitants aujourd'hui, deux milliards en 2050) a entamé sa croissance démographique dans les années 1930 grâce aux campagnes de prophylaxie menées par les colonisateurs et prolongées après les indépendances. En ce début du XXIe siècle, alors que la population du reste du monde est en voie de se stabiliser, voire de diminuer, elle poursuit sur sa lancée avec des familles de quatre à sept enfants en moyenne selon les pays.
En l'absence de planning familial et de campagnes contraceptives, en l'absence aussi d'État de droit et de dirigeants honnêtes et scrupuleux, l'aide extérieure à l'Afrique reste vouée à l'échec malgré un montant qui n'a rien de négligeable : plus de 200 milliards de dollars par an selon la Banque mondiale, soit l'équivalent de plusieurs plans Marshall depuis les indépendances (note).
Il ne sert à rien dans ces conditions de rêver d'un « co-développement » qui permettrait à l'Afrique noire de sortir du dénuement et retenir ses jeunes. Les Africains eux-mêmes sont les premiers à l'admettre. « Ce sont les forces vives qui s’en vont… Le migrant est un défaitiste qui ne croit pas au concept de l’Afrique qui gagne », constate le journaliste Stephen Smith dans La ruée vers l'Europe (Grasset, 2018), un essai lucide dont le président Emmanuel Macron a fait son miel.
En baissant les bras devant les défis extérieurs (instabilité moyen-orientale, démographie africaine), en renonçant à protéger nos frontières et garantir les droits des citoyens, nous déstabilisons un peu plus notre société, ruinons les efforts d'intégration des précédents immigrants et prenons le risque de l'anarchie et de la guerre. Dans le même temps, nous aggravons la situation des pays de départ en les privant de leurs éléments les plus jeunes et les plus dynamiques.
Fondée sur le déni des réalités démographiques, sociales et géopolitiques (note), cette attitude est à l'opposé de ce qui fait l'essence de la « politique » : la protection de la cité (polis) et de ceux qui y vivent, dans le maintien de la paix. « L’immigrationnisme sans frein, qui est en train de se constituer en idéologie européenne, qui met les droits des étrangers mobiles – polonais ou moyen-orientaux – au-dessus de ceux des nationaux, qui met donc les populations en état d’insécurité est, sous l’apparence des bons sentiments, un anti-humanisme », diagnostique l'historien Emmanuel Todd (Atlantico, 3 juillet 2016).
Le philosophe et historien Marcel Gauchet ne cache pas son inquiétude : « Nous n'en sommes qu'aux balbutiements d'un processus qui pourrait devenir ingérable. Ce potentiel migratoire est gigantesque et représente une force de déstabilisation qui risque de s'imposer comme la question politique centrale en Occident. Si l'on y ajoute la question écologique, on se dit qu'il risque de se passer de drôles de choses dans un avenir pas si éloigné. D'autant que nous avons pris le parti d'organiser notre désarmement sur tous les plans, pas seulement militaire, mais plus encore intellectuel et moral » (Causeur, mars 2013) (note).
De façon moins nuancée, Jacques Attali, brillant dilettante de la pensée et de l'Histoire, se hasardait à pronostiquer un « nouveau Moyen Âge » dans un entretien au quotidien Libération, le 5 mai 2000 : « Nous connaissons déjà un exemple de ce qui pourrait arriver : la Somalie. Des bandes tribales s'affrontent sans aucun pouvoir pour les séparer (...). Nous vivons en ce moment la période flamboyante de la fin de l'empire (...). Ce Moyen Âge bunkérisé est déjà là : ce sont les guerres locales, les banlieues qui s'isolent, les riches qui s'isolent, les touristes qui se font prendre en otage ».
Boutros Boutros-Ghali, qui fut secrétaire général de l'ONU, exprimait le 22 mai 2007 sa vision de l'avenir de l'Europe (Rencontres du XXIe siècle, UNESCO, Paris) : « L'effondrement sans précédent de la population européenne (4% de la population mondiale en 2050 contre 8% aujourd'hui) et son vieillissement accéléré contrastent avec l'augmentation encore très rapide de la population en Méditerranée du Sud et de l'Est. Il va s'ensuivre des déséquilibres très aigus ! ».
« D'un strict point de vue quantitatif, l'immigration serait une solution », convenait l'éminent Égyptien. « Mais on ne peut traiter la question comme un problèmes de vases communicants ou de robinets. Une immigration sans précaution risque de faire imploser les sociétés occidentales au prix de troubles très graves (choc culturel, structures néo-coloniales, chômage...) ». Cette prophétie est en train de devenir réalité comme l'attestent le discrédit des institutions européennes, la faiblesse des gouvernants, la poussée des populistes, de la Finlande à la Grèce et l'Italie, la racialisation des sociétés et la nouvelle vague d'immigration incontrôlée.
1- Politiques de Gribouille
Publié ou mis à jour le : 2019-11-24 23:37:41